CUPIDITAS

CHAPITRE XIX - ALEXEÏ

- Qui est Alexeï ?

J'aurais préféré mille fois ne pas le découvrir. Car si on ne m'avait pas répondu, j'avais tôt fais de faire sa connaissance. TROP tôt.

Le Wealth Palace n'étant ni un palais, ni un trésor de richesses. C'était une maison de trois étages en briques rouges aux fenêtres barrées de planches. Je voyais d'ici la toiture suintant d'humidité. Une enseigne délavée annonçait en lettres gothiques maladroites Wealth Palace, maison de jeux.

Mais si l'extérieur ne payait pas de mine, l'intérieur était dépourvu de toute valeur. Il y avait bien des tables pleines d'échardes, une roulette et tout ce qu'on peut bien trouver dans une maison de jeux mais tout semblait tellement à bout de souffle que c'en était pathétique. La poussière voletait dans les pas des marins, les cartes écornées passaient de main calleuse en main archi-calleuse.

J'avoue, j'étais un peu déconfit. Je m'était attendu à mieux quand on m'avait dit « c'est une maison de jeux réputée ». Réputée pour la fripouille, oui.

Mais ce n'était rien par rapport à la découverte d'Alexeï.

Je l'avais tout de suite vu, assis à une table de poker, visiblement croupier, avec son paquet de carte blanchi par tant de passes. J'avais souvent entendu dire qu'un croupier pouvait contrôler toute une partie s'il était doué, en retirant tous les bénéfices. J'en avais ri alors, disant que personne ne pouvait défier le hasard ainsi. Depuis, je ne m'étais plus penché sur la question, bien trop sûr de mon affirmation.

- Il est occupé, avait dit Julian en désignant le croupier.

- C'est lui, Alexeï ?

- Oui. Toujours aussi fascinant.

Je suivis son regard amouraché de pucelle.

Après quelques tours, je compris. Tout ce qui se passait suivait un schéma bien définit qui aboutirait à la victoire d'un des joueurs sans laisser soupçonner une seule seconde que ce soit autre chose qu'un tour du hasard.

Alors que tous étaient absorbés par sa mise, Alexeï fit voltiger sa main devant lui pour se gratter la tête, les yeux fixés sur les visages des joueurs. Une carte se glissa discrètement au milieu du paquet.

- As-tu vu ? demandai-je, bluffé.

- De quoi ?

- Il a... changé la donne.

Elle me mira avec un drôle d'air puis se détourna, l'air très satisfait.

- Tu es doué, Willy.

- Ne m'appelle pas comme ça.

La partie se finit et, comme je l'avais prédit, ce fut l'homme au cigare qui l'emporta. Après quelques protestations, les joueurs se dispersèrent et Alexeï leva la tête vers nous. Plus vieux que moi, il avait des yeux froids, d'un bleu glacial qui me rappela ceux de mon frère, mais empreint d'une cruauté encore plus sévère et d'une joie malveillante. Son visage taillé à la serpe s'étira en sourire de loup et ses cheveux blonds, presque blancs scintillèrent dans la lumière chiche des vieux chandeliers. Je n'avais sûrement plus beaucoup de temps à vivre.

- Que me vaut le plaisir, spectres ?

Encore ce mot. C'était un rang ou quoi ? A côté de moi, Hawkins se raidit. Il s'avança en boitillant et s'écroula sur une chaise, en face du jeune homme.

- Ravi de t'voir aussi Alexeï, lâcha-t-il, sarcastique.

- Tu sais très bien que vous n'êtes pas les bienvenus ici, voleurs.