CHAPITRE XII - JE CHOISIS DE JOUER AVEC LE DIABLE

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- Première règle, Carlyle, choisis ce que tu veux voir. Histoire d'éviter ton fiasco de la dernière fois avec ce cher...

- Je vous prie de ne pas parler de lui ici, répliquai-je vertement, le regardant par en-dessous, la tête entre les mains.

- Je disais qu'il fallait que tu t'entraînes.

- Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, j'en suis confus ! lâchai-je en jetant un regard insistant vers la porte.

Nous étions dans les quartiers de Schoemaker, dans la cité universitaire d'Eton, où je, nous hélas, étudiions. Dehors, le soir était tombé depuis longtemps et j'avais des choses à faire. Me faire convoquer par Schoemaker avait perturbé mon étude, j'aurais dû me douter qu'il ne ferait que fabuler sur ses délires au lieu de préparer le débat que nous aurions à animer demain en équipe. Il était à présent affalé sur son bureau, les yeux fixés sur moi, sans jamais ciller, un fin rictus lui étirant les lèvres. Il semblait bien se marrer.

- Allons, Carlyle, ne veux-tu pas rester encore un peu ici à te voiler la face ?

- Non, sans façon, mais je te remercie.

J'attrapai mon manteau sur le lit.

- Demain, tu t'entraîneras, conclut donc mon hôte en me faisant signe de disposer.

- C'est ça !

Presque une semaine entière que les cours avait repris. Quand j'étais parti de notre résidence citadine, Père était au plus mal, alité au lit et le teint cireux. Maladie du cœur avait diagnostiqué le médecin. Il serait sur pied dans pas un mois. Tu parles.

D'humeur exécrable depuis, je devais en plus supporter tous les caprices de Schoemaker, devenu officiellement ma tare. Il me servait sans discontinuer de grands discours sur mon destin et blablabla ; je n'y prêtais plus attention, Dieu avait voulu me faire passer un message clair et intransigeant, je me devais de l'écouter et d'arrêter de prêter attention aux divagations d'un imposteur. J'avais oublié ma foi, l'histoire d'un bref instant et c'était un grave péché que je me devais d'expier.

Je soupirai en longeant les longs couloirs silencieux. Le parquet ciré craquait sous mes pas furieux. Tout le monde travaillait. Evidemment ! Le couvre-feu était pour bientôt et chacun planchait sur ses leçons tandis que Schoemaker m'entretenait de sujets inconvenants. Je soupirai bruyamment et me passai la main dans les cheveux, qui, une fois n'est pas coutume, me tombaient dans les yeux en l'absence de la laque traditionnelle. Dépravation navrante.

Je m'arrêtai en plein milieux du couloir pour me frapper le front de ma paume ouverte.

- Monsieur Carlyle, peut-on savoir ce que vous faites ici à cette heure tardive ?

Je sursautai comme pris en faute et me retournai d'un bond, les mains sagement croisées dans le dos. Un petit homme voûté se tenait derrière moi, la baguette au poing, les sourcils haussés. Il était vêtu d'une grande toge noire impeccable et portait de petites lunettes rondes sur le bout de son nez (très long, je vous assure. Mais le fait est que j'avais toujours la crainte qu'elles tombent sur sa petite moustache ridicule tellement elles semblaient en équilibre au bord de la falaise. Si, si !). Je me redressai un peu plus.

J'ai le très grand honneur de vous présenter le gnome qui nous sert ici de house master, dans le dortoir. Veuf, il n'avait pas d'enfants ni de parents et donnait toute sa petite personne dans l'éducation de « ces jeunes morveux inconscients qu'ils sont ». S'il semblait d'un premier abord vieux et sourd comme un pot, je peux vous assurer qu'il avait l'ouïe fine et le poignet habile. Gare à ceux qui médisaient dans la maison.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now