CHAPITRE XXVIII - SUBSTITUT

3 0 0
                                    

- Carlyle ?

- Plait-il ? demandai-je sans lever les yeux du carnet d'Aaron.

- Euh... pourquoi y a trois fourchettes et autant de couteaux ?

- Pour les différents plats évidemment !

- Evidemment ! répéta-t-il d'un ton sarcastique.

J'avalai de travers ma soupe et m'étranglai bruyamment.

- C'est bon ! sifflai-je à Hawkins qui riait à gorge ouverte, les pieds sur la table. Contente-toi de savourer ta chance pour une fois et ferme-la.

- Un peu d'humour, Carlyle !

- Toi, c'est sûr, tu as retrouvé ta bonne humeur horripilante, marmonnai-je en mâchonnant du pain. Lâche moi un peu, je travaille. Mange.

- J'ai fini !

Je l'ignorai, sachant pertinemment qu'il avait le menton couvert de potage et des mies collées sur les joues. Il lui avait fallu à peine deux minutes pour engloutir tout ça. Même si c'était un repas improvisé et bien pauvre par rapport à ceux qu'elles nous concoctaient d'habitude, après des mois de famine, il me semblait un bien trop grand festin. Pourtant, Hawkins...

Ce que j'attendais se produisit.

- Oh.

Il vomit sur la nappe blanche et je grimaçai.

Je te l'avais dit...

- Tu viens de vomir sur la place de mon frère, remarquai-je non sans une certaine satisfaction.

- Attend, je peux arranger ton coup si tu veux, argua-t-il en se penchant à travers la table en riant.

Je basculai sur deux pieds en oscillant dangereusement et répliquai d'un ton pince-sans-rire :

- Sans façon, je te remercie de toute ton attention, Hawkins, mais je laisse l'honneur à mon cher frère.

- Tu redeviens pédant, remarqua Hawkins en se rasseyant brutalement.

Je haussai les sourcils mais gardai le silence.

Il faut savoir que j'ai toujours voulu rendre fier mon père étant le cadet mais depuis mon plus jeune âge, je n'enchaînais que bourde sur bêtise, m'attirant constamment des problèmes. Il fallait obéir, il fallait être instruit et avoir un avis, savoir se taire et faire un exposé. Je n'y comprenais rien mais j'essayai de tout mon cœur, avançant dans l'ombre d'Aaron. Lui qui étais toujours plus beau, toujours plus grand, plus intelligent, plus prometteur, respectueux des règles.

Je le détestais.

Mais c'était une époque où nous étions proches et je le connaissais alors assez pour savoir que sur ses épaules pesait un poids énorme. Il en tombait parfois malade mais même alors, il apprenait.

Je le détestai parce qu'il savait tout sur tout. Il était parfait.

Un jour, je me rappellai d'une journée ensoleillée et des herbes folles des champs de notre manoir, il m'avait confié son secret. Cérémonieusement, sur le ton de la confidence, il sortit ce petit carnet en cuir et m'en montra quelques pages.

Tout y était consigné dans les moindres détails avec une rigueur absolue. Classé, consigné, j'avais sous mes yeux le cerveau de mon frère.

Je m'en souvenais à présent, la mienne me faisait rarement défaut. Mon frère n'était pas parfait, il avait un seul défaut : sa mémoire.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now