CHAPITRE XXXIII- LOUIS LE CRUEL

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              Une main surgit devant moi et subtilisa le croissant que je m'apprêtai à croquer. Mes dents claquèrent dans le vide et, sans me laisser le temps de me remettre, fis un croche-pattes à Hawkins qui passait à ma droite. Il s'étrangla avec la viennoiserie et je ricanai en attrapant un pain au raisin.

- Bien fait !

- Hilarant... Carlyle... ! toussa-t-il en s'avachissant sur la chaise en face de moi, débraillé comme jamais.

Il semblait être tombé du lit (ce qui, à bien y réfléchir, était sûrement le cas) avec sa tignasse noire dressée sur la tête et la marque de l'oreiller lui barrant la joue. Je fixai avec un mélange d'agacement et d'amusement sa chemise boutonnée de travers et comme par empathie, réajustai mon col et défroissai le tissu blanc de la mienne.

- Quel est le programme d'aujourd'hui ? finit par demander Hawkins en chassant les mies de son menton mal rasé.

Sans se laisser le temps de respirer, il en attrapa un deuxième et entreprit de le fourrer tout entier dans sa bouche, dans l'expectative.

- J'ai reçu une missive, pas plus tard qu'hier, par un bien sombre personnage. Il se trouve que les armes ne sont pas assez nombreuses et il nous manque toujours ces explosifs... Et je dois voir une dernière fois Phantom avant qu'il...

- Tu lui fais encore confiance ! coupa-t-il en plantant un pauvre petit pain dans la table.

- Puis... continuai-je en l'ignorant, on va aller chercher ta demoiselle.

- Ce n'est pas ma demoiselle.

- Ah oui ? le narguai-je en avalant une cuillère de gelée, songeant à la sérieuse punition que j'aurais reçu quelques semaines plus tôt par une mère au bord de l'apoplexie. Tu lui coures beaucoup après pourtant.

- Ferme-la !

- Voilà ce qui nous distingue, Andrew Hawkins, je ne serais jamais tombé dans ce piège.

Il vira au rouge pivoine mais avant qu'il puisse ajouter un mot, Samuel entra dans la salle à manger, l'air vaguement embêté.

- Monsieur Carlyle... Vos parents sont venus vous quémander à l'instant.

Le thé que j'avais ingurgité me remonta aussitôt dans la gorge, brûlant et acide et la nausée me prit. Comment ? J'ai pourtant été prudent ! Ils ont retourné tout Londres pour moi ? Ils m'ont débusqué ! Mon Dieu, que vais-je dire ?

Stop.

Ils connaissaient Schoemaker.

La douce chaleur qui avait commencé à réchauffer mon cœur se dissipa brusquement. Je me pris la tête entre les mains, vidé, la migraine que je me forçai à ignorer depuis des jours menaçant de me faire exploser le crâne.

- En personne ? articulai-je, espérant au fond de moi, que oui, ils étaient venus pour retrouver leur deuxième enfant disparu.

- Non, le majordome de votre père, Henry si je me souviens, répondit doucement Samuel, le regard compatissant.

Je posai une main à plat sur le bois sombre de la table comme pour me retenir à quelques poignées de réalité. La haine est un sentiment aussi pur et passionné que l'amour et la ligne entre les deux est si fine si ce n'est invisible, que parfois, vous la traversez pour vous retrouver sur ce rivage, à mirer l'autre berge brûler. Et il y a ce ruisseau, cette rivière, ce torrent, cet océan de douleur ! il vous est impossible de revenir en arrière.

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