Chapitre VII - Cicatrices

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- Lévi !

Même interjection, cette fois jetée par une voix bien plus dure et impatiente à travers la porte. Je relevai la tête, les yeux mi-clos ne demandant que quelques minutes de plus. La migraine, désormais quotidienne me taraudait déjà.

- Lévi ! recommença la voix d'Aaron qui tambourina un instant sur la porte.

- Oui ? marmonnai-je en m'extirpant des draps, tâtonnant la table de chevet à la recherche de mes lunettes.

Je me traînai lamentablement jusqu'aux doubles battants et tournai la clef dans la serrure qui cliqueta joyeusement, résonnant douloureusement dans mon crâne. Saloperie. Aucun souvenir de l'avoir fermée hier soir.

- Eh bien ! Tu en as mis du temps ! pesta Aaron, dressé devant moi de toute sa hauteur, les yeux rageurs.

Morose, je le dévisageai. Il semblait tiré à quatre épingles... littéralement. Ses cheveux étaient soigneusement tiré en arrière, ses traits tout autant et son beau costume noir l'enserrait au moins pareil que sa cravate pour peindre l'image d'un gentleman parfait à la manucure impeccable et au courroux douloureux.

Lui aussi me dévisagea de haut en bas et lâcha un soupir excédé.

- Plaît-il ? articulai-je de nouveau en me redressant pour paraître plus grand à ce frère qui avait onze ans de plus que moi.

- Habille-toi pour commencer, et met tes beaux habits, la fam... Eh ! Lévi, je te parle ! fit-il en claquant des doigts sous mon nez.

- Oui, oui... ahanai-je en passant une main tremblante dans mes cheveux, lourdement appuyé sur le chambranle.

Aaron fronça les sourcils en se penchant vers moi.

- Ça va, frère ?

Sous la violence d'une nouvelle attaque mentale, je poussai un gémissement à peine audible. Mais Aaron était de ceux qui ne laissent rien se perdre. Et il m'avait bien éduqué car je vis le moment exact où il cessa de jouer les grands frères blasés et se transforma en Aaron d'autrefois.

Celui qu'il était après que je fus abandonné comme une loque lamentable par Mère puis Père. Ce fut ma seule et unique période de complicité avec mon frère. Lui, le bon fils qui s'intéressait à nos aïeuls et aux fleurets, qui avait déjà dix-sept ans quand j'en avais six. Il était en dernière année au Eton's College et excellait dans toutes les matières, s'accaparant tout l'amour et l'admiration de nos parents.

Pendant ses vacances et les quelques semaines que Père le retirait de la pension pour l'emmener dans ses voyages, il m'apprit à aimer ce que je détestai, se chargeant à la demande de Père de me les enfoncer dans le crâne. Voyant bien que je ne m'y intéressai guère, pour ne pas dire que je fuyais dès que je le voyais rappliquer avec ses livres, il décida sans l'accord de Père de m'apprendre à jouer.

Nous en avions passé des après-midi près de l'âtre à jouer à la belotte et aux dames. Il souriait toujours à cette époque, son rire résonnait dans les hauts plafonds, courait sous les planchers. Quand je perdais et croisais mes bras contre ma petite poitrine, l'air boudeur, il posait une main sur ma tête et me proposait une sucrerie avec un nouvel éclat de rire.

Et c'était ce personnage qui m'était revenu.

- Lévi, ça va ? s'inquiéta-t-il en m'attrapant le bras d'une poigne ferme pour me soutenir.

La douleur enflait par à-coups brutaux dans ma tête. Je me rappelai les mots de Schoemaker : « tu ne peux pas y échapper... plus les désirs environnants seront forts, plus tu auras mal... l'unique moyen de faire disparaître la douleur ». Je vacillai, le maudis, à travers les brumes de mon mal puis criai de rage quand je réalisai que je ne pouvais maudire le dieu des malédictions. Je me débattis dans les bras de mon frère.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now