CHAPITRE XIV - FUT PRIS CELUI QUI CROYAIT PRENDRE

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Finalement, j'avais raté la messe. Une chance que personne ne se soit aperçu des deux chaises vides. Pourtant, Schoemaker était descendu à l'heure en m'abandonnant à une secte bizarre. Je marmonnai une malédiction entre mes dents, penché sur ma version latine.

- Vous voulez que je vous aide, monsieur Carlyle ? persifla le professeur en me donnant une tape sur le crâne.

- Pardon, professeur, grognai-je de mauvais cœur.

Il retourna s'asseoir à son bureau, nous jaugeant de l'estrade. Je replongeai dans mon travail. Mais les mots se brouillaient et se mélangeaient devant mes yeux et je fus bien incapable de trouver le sens du texte. Mes pensées dérivaient à chaque fois vers les seuls trois mots gravés sous ma manche. Ils semblaient irradier une force maléfique qui me poussait à me recroqueviller sur le sol comme un fœtus, hurlant ma folie. Sauf que je n'étais pas fou. Et ça posait pas mal de problèmes.

Vingt-et-un février 1874, toujours aucune trace de Schoemaker. Morose, je traversais la cour centrale avec quelques camarades pour regagner nos internats, rajustant sans arrêt mon col. C'était devenu une habitude vitale. Autant éviter de montrer ce genre de dessin satanique à tous. Un ricanement m'échappa, me valant quelques regards en coin.

Le soir était déjà tombé et quelques flocons voltigeaient dans la lumière tremblotante des lampadaires. Sous nos manteaux, nous frissonnions tous, les bras serrés autour du torse pour tenter de se soustraire à la bise.

Un mouvement attira mon attention. Une silhouette fine se tenait sous la lueur jaune d'un lampadaire, à quelque vingt mètres. Le visage plongé dans l'ombre tourné vers moi. Schoemaker. J'hésitai un instant puis m'excusai auprès de mes camarades pour le rejoindre.

- Où donc étais-tu donc passé ? lâchai-je, tout de go.

- Oh, des petites courses en ville.

- Deux jours ?

- Oui.

Taciturne ma foi. Je haussai les épaules et nous repartîmes en direction du dortoir.

Quand je repérai la vibration basse et froide, c'était trop tard.

Tout se déroula très vite. Nous croisâmes un groupe d'élèves qui allaient je ne sais où, sans guère faire attention à nous, l'air pressés. Schoemaker me lança un regard glacé et un des garçons se tourna aussitôt vers moi. Les autres firent de même. La brûlure à mon poignet m'élança violemment et un sourire amusé éclaira le visage du garçon, ses dents brillèrent dans la lumière faible comme les crocs d'un loup. Ils eurent tôt fait de m'encercler, laissant Schoemaker de côté. J'entendis un pardon murmuré puis le noir. Eux que je traquais depuis des semaines, ils m'avaient attrapé.

- Aïe, soufflai-je.

- Ne bouge pas, Lévi.

J'ouvris difficilement un œil, le corps lourd comme du plomb. Mes lunettes avaient dues disparaitre parce que le plafond bas était tout trouble. Je clignai lentement des paupières, sonné. J'avais du mal à me rappeler où j'étais.

Oh, ça me revenait. Dans une pièce aveugle, au sol plein d'écharde et au mur de briques, depuis Dieu sait combien de temps. Bientôt je verrais des lapins roses bouffant des tigres tachetés. Le froid avait dû me rendre fou, à moins que ce ne soit le manque de nourriture ou l'absence totale de lumière. Ou les rats.

Oui, les rats, sans aucun doute. Les rats. Ils couinaient si forts en courant dans les coins, cachés par les ténèbres, me mordillant les chevilles la nuit... J'en avais attrapé un l'autre jour. Il m'avait gueulé des choses horribles, je lui avais arraché la tête. Son sang m'avait éclaboussé les mains et j'avais vomis avant de m'évanouir de faim.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now