CHAPITRE XX - JOURS SOMBRES

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Chaque jour, je vivais dans la crainte de me faire découvrir.

Alexeï était fou. Certitude du premier jour.

Alexeï aimait tuer. Certitude du troisième jour.

Alexeï adorait la souffrance, la terreur, le déchirement. Il se délectait des affronts.

S'il me découvrait, j'étais mort. Les trois mots sur mon bras me brûlaient pour me rappeler que je n'étais en sécurité nulle part. Surtout pas à la table de jeu où de ses doigts habiles, il traficotait les fils des esprits pour tourner la partie à son avantage. A chaque fois quelques minuscules fractions de secondes de façon que j'avais mis plusieurs jours à m'en rendre compte.

Je ne dormais plus.

Si par malheur il essayait de lire mes désirs... il se heurterait au vide comme me l'avait expliqué Schoemaker.

Schoemaker... j'avais deux mots à lui dire.

Je ne fermai plus l'œil. Mon corps tremblait de fatigue et de stress du matin au soir et du crépuscule à l'aube. Tout me semblait artificiel, comme baigné d'une lumière étrange, tout me semblait flou et irréel, tremblant et vibrant. Je marchais dans un rêve éveillé et la peur m'étouffait que je rate les moments où je devais devenir une statue sous la légère poigne d'Alexeï.

C'était une version perverse de un, deux, trois, soleil.

Ce monstre maniait aussi bien les couteaux que les fils. Certitude du dixième jour. Je l'avais vu s'entraîner par hasard, pendant que j'explorais le bâtiment pour trouver des sorties de secours. Des sorties tout court en fait. Il prenait autant de plaisir à retirer tout désir de vivre que toute vie en toute personne. De jour en jour, au lieu de dépérir du poids des désirs, il semblait devenir de plus en plus fort. C'était un démon immortel. Démon qui m'obligeait à jouer son jeu tordu pour tout remporter, qui se servait de moi jusqu'à ce que je rate un pas dans la danse dangereuse dans laquelle nous étions lancés.

J'étais définitivement mort. Enfin, re mort.

Un rire nerveux me secoua alors que j'étais en pleine partie de poker.

On me jeta deux ou trois regards suspicieux et un coup de pied bien senti de la part de l'adorable croupier.

Je fus si heureux de voir Blackhorn et Hawkins que j'eus envie d'en pleurer. Ils étaient venus une nuit plus froide que les autres alors que je maudissais mon matelas défoncé et ma soupe à l'eau dans l'espoir d'oublier un instant les doigts du démon coupant le fil.

J'avais froid malgré le printemps approchant, j'avais faim, j'avais envie d'une bonne toilette, de vêtements propres et d'une coupe de cheveux. Et d'une couverture, par pitié.

Quelqu'un avait toqué à la fenêtre de la mansarde. Après un moment de flottement, j'avais reconnu le visage fin de Julian et je lui avais ouvert. Elle avait enjambé l'ouverture et sauté à terre. Un cri de chouette résonna dans la nuit et Julian jeta aussitôt une pièce par l'ouverture. Hawkins faisant le guet m'a expliqué Julian.

- T'as encore plus sale mine que quand on t'as récupéré dans les égouts, observa-t-elle.

Je crois que je me suis écroulé dans ses bras en sanglotant. Elle, ne faillit pas. Je ravalai de nouveaux sanglots en me disant que j'étais sûrement devenu aussi famélique et sale qu'eux. Depuis quand n'avais-je pas croisé un miroir de toute façon ? Julian me tapota le dos après une hésitation.

- Je veux rentrer chez moi, gémis-je en m'accrochant à son manteau déchiré qui me donna encore plus le mal du pays. Et Garrick, où est-il ?

CUPIDITASWhere stories live. Discover now