CHAPITRE XXVI - LE CARNET

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J'ouvris les paupières.

Un flocon de neige se posa sur mes lèvres.

Le ciel nuageux tournoyait lentement loin au-dessus de ma tête, se fichant bien de nous. Sans qu'une seule pensée cohérente traverse mon esprit, je contemplai ces volutes grises un long moment.

Enfin, je me résignai à bouger, brisant la sorte de torpeur bienheureuse dans laquelle je nageais. Quand je tournai la tête, une explosion de douleur me brouilla la vue. Je distinguai avec peine une menue silhouette recroquevillée en face de moi, une lame étincelante dans la main.

Réveillée par mes gémissements, elle se déroula et je reconnus les traits ciselés de Julian. Un long filet de sang coagulé qui lui avait coulé dans l'œil et de gros cernes bleuâtres venaient teindre sa peau pale de mille couleurs.

- Tu es vivant... fit-elle sans conviction en s'approchant de moi.

- Quoi ? articulai-je en essayant de me redresser sur les coudes.

Elle m'attrapa le bras et m'aida à m'assoir contre le mur humide. Je plissai les yeux, tentant de percer ma myopie. Pour ce que j'en voyais, c'est donc peu, elle faisait vraiment peur : débraillée, la chemise boutonnée de travers laissant apparaître un bandage crasseux, les cheveux emmêlés et collés par le sang séché.

- Tu t'es mis à fumer, tes yeux sont devenus noirs d'encre et pouf, répondit-elle en mimant un machin qui s'écrasait pathétiquement au sol. C'est tes tatouages là... on aurait dit de l'acide. Regarde.

Elle désigna ma manche, percée d'une multitude de trous de formes différentes. Choqué, je restai fixé sur un trou en forme d'étoile à cinq branches que je connaissais bien. Dire que je m'étais senti si léger, si... libre, quelques jours plus tôt ! Ça devait être le contrecoup de la fatigue et du stress qui avait fait que mon esprit soit si affaibli.

- Mais... attends, regarde moi.

Je levai des yeux surpris sur Julian, qui s'approcha si près de mon nez, que je pus distinguer les taches de rousseur discrètes qu'elle avait dessus avec une étrange acuité. Comme piquée au vif, elle recula aussitôt, les pupilles dilatées. Je touchai précautionneusement mon nez, tout entier concentré sur Julian, lui posant une question muette, vu qu'il me paraissait tout à fait normal.

- Tes... tes yeux, bafouilla-t-elle.

Elle ravala ses mots et se contenta de reculer. Le silence se prolongea.

- Eh bien ?!

- Noir.

- Pardon ?

- T'as un œil noir ! s'écria-t-elle soudain.

J'aurais pu rire de sa bêtise mais au fond de moi, je savais que c'était vrai. Je savais que j'étais différent, comme si quelque chose s'était lancé à l'assaut de mon esprit et avait gagné une bataille. Les yeux, ne dit-on pas qu'ils sont le miroir de l'âme ?

- Qu'importe, finis-je par déclarer en me levant doucement. Merci.

Elle me servit un minuscule sourire. Sincère, pour la première fois et mon cœur bondit dans ma poitrine. Elle était beaucoup plus jolie comme ça mais ce n'était pas ce qui m'avait ému.

- Qu'as-tu fait ?!

- Hein ?

Je la tirai à moi et retournai son bras, dévoilant une horrible cicatrice. Une étoile à cinq branches.

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