CHAPITRE XXXVII - UN COMBAT PERDU D'AVANCE

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J'arrivai devant la gare à dix-huit heures trente précises et je me félicitai d'avoir mémorisé cette fichue carte de Londres enfant. Une joie fugace me survola quand je me dis qu'Aaron ne faisait que jouer la comédie, incapable qu'il était d'apprendre le tracé des chemins de fer.

Avait-il jusqu'à oublié l'ouverture de Liverpool Station ? M'est avis que non ; nos trains desservaient déjà l'endroit. J'entrai, me laissant porter par le flot continu de passagers qui envahissaient l'endroit.

J'empruntai les escaliers et longeai la rambarde, passai sous l'horloge, poussai mes pas jusqu'à un coin isolé sous un kiosque où l'employé piquait un somme. D'un regard circulaire, je balayai l'endroit. Aucune trace de Phantom.

Un sifflet de train retentit et la symphonie de la machinerie couvrit la rumeur de la foule. Une locomotive Carlyle, remarque-je avec un bref sentiment de suffisance.

- Carlyle...

Pivotant sur mes talons, j'y découvris Phantom. Il n'avait jamais aussi bien porté son nom.

- Je ne suis que William ici, lançai-je en guise de salut.

Surpris, il eut un mouvement de recul, fronça les sourcils. Ses cheveux blonds étaient plaqués en arrière, son visage carré propre et il avait revêtu un costume que je devinais mien. Mais il ne trompait personne avec ses manchettes détachées et sa cravate de travers. Et puis ses ongles ! fendillés et tout noirs... Néanmoins, son port était droit et altier, presque hautain. Parfait en somme.

Nous restâmes là à nous dévisager en chiens de faïences. Je devais avoir piètre allure ; un visage creux et mutilé barré d'une vieille trace de sang séché au cou couturé de cicatrices planté dans une chemise brûlée et boutonné de travers...

- Qu'est-ce q't'es arrivé bon sang ? finit-il par demander d'une voix douce en posant une main sur mon épaule.

Je grimaçais.

- Ce n'est pas ainsi que tu tromperas, éludai-je.

- Et toi ?! répliqua-t-il dans un éclat de rire. Sachez, cher, que je puis parler comme vous autres, dandys, poursuivit-il dans une imitation d'accent français.

- Les dandys sont oisifs, je n'en fais pas partie, cher. Merci d'être venu.

Aussitôt le climat bon enfant se durcit de même que le visage de Phantom. Il haussa une épaule.

- J'ai fait que suivre les instructions.

- Alors ?

- Je l'ai vue. Elle m'attendait au tournant et m'a transmis des informations.

Il n'attendit pas, ne badina pas.

- Elle m'a dit de te dire que tu avais bien vu, il sera impossible d'attaquer avant la cérémonie. Le Maître est enchaîné par un désir commun très puissant qui l'obligerait à lutter contre vous. Il n'en sera libéré qu'à l'apogée du rituel. Elle a aussi parlé d'un livre...

Il se gratta le menton, se rappela les mots.

- Terre et ciel où je sais plus... Il le leur faut pour la cérémonie. Elle a dit qu'elle savait pas encore pourquoi mais c'est Alexeï qui le cherche. Ah oui ! il veulent le deuxième... Néant et cataclysme j'crois. Elle m'a dit que tu comprendrais tout.

Et ce n'était pas pour me plaire. Bien sûr je savais qu'ils avaient piégé Schoemaker pour le réduire en esclavage mais je n'avais pas prévu le livre.

CUPIDITASWhere stories live. Discover now