Chapitre 14

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   C'est avec un soulagement intense que je réalisai à qui j'avais affaire. Eliénor, fièrement dressée devant moi, me surplombait de toute sa magnificence. Cette prestance naturelle que l'animal mystique possédait était palpable, il m'était pratiquement impossible de ne pas ployer sous son regard inquisiteur. Deux émotions contradictoires se disputaient en moi, j'étais d'une part éblouie et admirative devant la créature au port royal me faisant face tandis que d'un autre côté j'étais effrayé et craintive devant cette bête qui était avant tout sauvage. Toutefois, l'intelligence brillant dans ses yeux finit par me convaincre qu'Eliénor n'allait pas me croquer pour voir quel goût avait l'humain, ou plutôt la sorcière.

   Je ne savais clairement pas quel comportement adopter, après tout je n'avais côtoyé ce lynx ailé qu'une fois et je n'avais pas fait particulièrement attention aux usages que je devais employer. Il me paraissait tellement improbable qu'un animal, enfin une chimère pour être plus précise, puisse penser de la même manière que le ferait un être humain. De toute façon, l'existence même des sorciers impliquait que tout ce en quoi je croyais jusqu'à présent devait être remis en cause. Mon ignorance quant à la démarche a suivre face à cet être si grandiose me mit dans une situation délicate. J'avais peur de froisser la bête et qu'elle devienne incontrôlable. J'essayai toute fois de me rassurer en me disant que quelqu'un saurait intervenir avant que la situation ne devienne critique.

   Mon hésitation certaine accompagnée de ma frayeur rendait mes muscles tendus à bloc. Je suis persuadée que ma crispation ne passa pas inaperçue, toutefois cela ne parut pas gêner l'animal, qui se contenta de se laisser choir de tout son poids par terre. Le lynx ailé me regarda avec curiosité, comme si j'étais une créature incroyablement mystérieuse et incompréhensible. Quelle ironie! Prenant cet acte comme une invitation silencieuse, je grimpai sur le dos de la bête majestueuse. Je m'accrochai tant bien que mal à sa fourrure pour éviter la chute. Le décollage se fit en douceur, heureusement pour moi. Eliénor me guida à travers les étages, nous montions en flèche vers les hauteurs de l'arbre gigantesque qu'étais la cité aquatique. Je me couchai carrément sur l'encolure de la chimère qui battait frénétiquement des ailes. J'avais bien trop peur de tomber pour ne serais-ce me redresser un instant afin de contempler le spectacle s'offrant à moi. 

   Une dizaine de minutes plus tard, nous atterrîmes sur une moquette moelleuse à souhait. Je descendis du dos musclé, les jambes en coton. Ce petit voyage m'avait permis de monter tous ces étages sans fatigue et je suppose qu'Eliénor m'avait mené au bon endroit sans que je n'arrive toutefois directement face à la porte de l'appartement. Devais-je préciser que mon sens de l'orientation n'était que médiocre? Je réalisais toutefois─avec un temps de retardement─ que je me trouvais à nouveau dans le salon chic où Eliénor nous avait déposé la première fois. L'animal, toujours couché à mes pieds, me toisa de son regard curieux attendant manifestement que je réagisse. Je m'accroupis donc, de manière à être à la hauteur de sa tête et lui ébouriffai la fourrure sur son crâne. Il émit une sorte de miaulement où se mêlait grognement et ronronnement. La créature inclina brièvement sa tête dans mon étreinte puis se leva d'un bon. Je soufflai un merci, ayant encore du mal à imaginer qu'elle pouvait me comprendre. Cette dernière me regarda une dernière fois avant de s'en aller pour de bon, tout comme elle avait surgit de nulle part un peu plus tôt. 

   Je refis donc le chemin pour rentrer, et comptais bien filer dans ma chambre mais fus interceptée avant d'avoir pu atteindre mon but. Mon plan avait été de me vautrer sur mon lit pour rattraper les heures de sommeil manquantes mais ce serait apparemment pour une autre fois. Je me concentrai donc sur le visage de mon gâcheur de sommeil, qui avait l'air assez furieux. Bon sang! Qu'avais-je encore fait? La réponse à cette question fusa une seconde plus tard:

"Je t'avais demandé de me rejoindre dès que ton cours se finissait, or ça fait vingt minutes que tu es sortie, j'imagine mal Dame Fugalligi te libérer en retard, surtout le premier cours! Et puis, même si c'est le cas, cela vient probablement d'une de tes impertinences habituelles."

EnchanteresseWhere stories live. Discover now