Nolim I : l'Océan des Ombres

12. La promesse d'un miracle

(2000 mots)

Lorsque Caelus referma le livre et le renvoya sur l'étagère d'un geste, son esprit analytique travaillait déjà. En première lecture, il s'était concentré sur la présence d'Aléane ; mais ce souvenir ne lui apprenait rien sur elle, sinon qu'une navigatrice de Neredia avait porté ce nom, et sauvé le capitaine Reg et son équipage d'une mort certaine.

Cependant, songea Caelus, Aléane ne se révèle pas sans raison.

Elle obéissait aux mêmes lois régulières qu'un phénomène astronomique. Aléane se révélait lors du crépuscule. Lorsqu'un monde faisait face à un grand péril. Elle s'efforçait de maintenir le globe sur son axe. Même si elle laissait la vie lors de la bataille, elle n'échouait jamais à cette tâche.

Pour chercher ses incarnations, Caelus avait examiné l'histoire des empires, cherchant des tyrans renversés contre toute attente, des conflits gagnés de justesse. Le bibliothécaire connaissait assez bien Aléane pour la reconnaître à fort peu ; dans une copie d'un codex enluminé à la main par un moine kaldariste, une gravure représentant l'aube rouge et la guerrière solitaire. Aléane était souvent trop étrange pour les mondes qui la voyaient surgir ; son histoire tranchait avec les ritournelles des chansonniers, les ballades des aèdes, les chansons de geste et les romans de son époque. Aussi, puisque l'on ne pouvait inventer Aléane, toute mention d'elle valait vérité.

« Aujourd'hui, toutefois, la chose est différente, soutint Caelus tout en prenant note de ses réflexions. Ce souvenir est récent. Reg est un humain encore en vie sur Neredia. Le conflit qu'il mentionne – la lutte entre Laudana, Amor... n'a peut-être pas encore pris fin. Aléane aurait-elle échoué ? À moins que la réponse soit dans ces réflexions. »

Voilà quelque chose que les puissants et les dieux devraient méditer, songea-t-il. Si tu ne peux sauver un seul homme, comment voudrais-tu sauver l'univers ?

Il pensa aussitôt à sauver Kalddor.

Le bibliothécaire naviguait avec agilité dans les spéculations de l'esprit et savait expliciter des relations invisibles entre concepts distants. En effet, les dix mille planètes habitées dénombrées dans cet univers avaient conscience de leurs voisines à divers degrés, allant de l'intuition astronomique aux relations diplomatiques ; en retraçant leur Histoire commune, Caelus devait être capable de sauter de l'une à l'autre en passant si nécessaire par les liens ténus du rêve.

Il comprit donc que son inquiétude quant à Kaldor remontait à l'acquisition de ce souvenir. Dans cet univers plutôt calme pour ses anciens dieux déclinants, un rival inattendu menaçait la sécurité du dieu-sage.

« Je suis un incapable ! » s'exclama-t-il, bien qu'il ne le crût pas vraiment.

La planète Neredia ! Le Conseil des dieux ! L'Imperatrix !

Il devait retrouver Reg.

Ce fut aussi facile que de saisir un livre sur l'étagère, car de même que de nombreux chemins menaient à la bibliothèque, elle menait à tous ceux qui avaient contribué à son agrandissement.

L'ex-capitaine ne sembla pas surpris de le voir surgir du mur dans sa chambre d'hôtel, tel le génie émergeant de la lampe. La nuit de sa rencontre avec Aléane, Reg avait perdu sa main gauche, amputée et remplacée par un crochet. Chaque fois qu'il entrait dans son champ de vision, ce morceau de fer lui rappelait la navigatrice. Aussi le nœud du souvenir, le lien entre elle et lui, avait-il naturellement migré dans ce croc disgracieux.

Devant un miroir, Reg boutonnait d'une main la chemise d'un uniforme.

« Tant que vous y êtes, passez-moi le ceinturon, sieur Caelus. »