50. Nous avons tout tenté

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Si le destin est implacable, c'est car il est sans maître ; les dieux eux-mêmes échouent à mener les mondes sur les chemins qu'ils ont choisi.


Après avoir lutté contre la porte de son appartement, Christophe remarqua la poussière rouge qui s'insinuait jusqu'au paillasson ; une marée de petits cristaux qui coulait hors de cet espace inconnu où son chez-lui avait encore dérivé. Rabattant un bras contre son visage, il donna un grand coup de pied dans la porte, qui céda, s'arracha de ses gonds et s'envola au loin.

Un vent de face, chargé de sable rouge, manqua de le renvoyer en arrière. Un sage aurait su qu'il était inutile de lutter ainsi, de s'arc-bouter, misérable, contre cette force céleste. De ce point de vue, Christophe n'était pas sage.

« Que veux-tu ? » lança-t-il en tournant la tête sur le côté, à demi étouffé par la poussière acide qui recouvrait son manteau.

Car un homme se trouvait au milieu du flot, une silhouette immobile contournée par les vents. Un homme immense, d'une carrure impressionnante, dont les tatouages noirs semblaient fondre dans sa peau, tant elle se recouvrait de sable.

« Sais-tu qui je suis ? » gronda-t-il.

Il ne faisait aucun mouvement. Mais des rochers se soulevèrent autour de lui, arrachés par le vent, qui roulèrent tout près de Christophe dans des tourbillons cristallins aux arêtes cinglantes. La porte se trouvait déjà bien loin, que la tempête poussait vers le néant, laissant Christophe et le colosse seuls.

« Sais-tu où nous sommes ? »

La forme de sa silhouette portait à peine au travers des vents, qui en hachaient les contours, mais son regard était inévitable ; même les yeux fermés, Christophe se savait objet de son jugement.

« Nous sommes chez toi ! tonna-t-il.

— On ne dirait pas... mais toi, qui es-tu et que veux-tu ? »

Il toussa vainement.

« Il est temps de terminer ce que nous avons commencé.

— Qui es-tu ?

— Arès ! »

En disant cela, l'homme tendit la main vers lui. Mais plutôt que de traverser le flot, elle s'y heurta ; les grains abrasifs rognèrent ses ongles, ses doigts, ses phalanges ; si sang il y avait, il disparaissait dans le vermillon de l'air. Alors Christophe comprit que le vent allait dans les deux directions ; qu'il le séparait d'Arès, car quelqu'un en avait décidé ainsi. Cet esprit de colère était enfermé ici.

Cela ne l'étonna guère. Nous avons tous nos propres démons emprisonnés quelque part – à moins qu'ils ne soient encore libres.

Christophe se laissa pousser en arrière. La porte dégondée surgit des vapeurs rouges, se remit en place et se verrouilla ; la poussière s'envolait de ses manches et se dissolvait dans l'air.

Mais il n'était toujours pas seul.

Son pied se posa dans un amas de flocons grisâtres, comme des cendres sans odeur. Il faisait assez froid et sombre.

Les frontières de son appartement s'étaient espacées. Les objets familiers de son quotidien les occupaient encore, déformés, noyés dans le régolithe et le brouillard. Une machine à laver brisée en deux comme un rocher ; un écran d'ordinateur barbouillé en flaque noirâtre, un pied de lit solitaire émergeant d'un tas de grumeaux gris.

Une nouvelle silhouette humaine, silencieuse, se tenait face à lui.

Il reconnut la statue du bureau de Shani.

Nolim I : l'Océan des OmbresWhere stories live. Discover now