57. Cieux solitaires

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Seul, Kaldar vainquit les forces de l'Aton, balayant ses armées et ses espoirs de conquête.

« Ton règne s'achève avant d'avoir commencé » dit-il.

L'Aton, enferré de lumière, faisait face aux abîmes. Bientôt il descendrait dans le gouffre, rien n'amortirait l'écroulement de son orgueil.

« Ma colère est immense et ma haine insatiable, gronda le vaincu. Tu plantes en ce jour les ferments de ta ruine. Je reviendrai plus fort de mon isolement. Sorti de cette prison, je serai inarrêtable. »

Kaldar quitta du regard cette silhouette qui se déformait dans les ombres. Ayant libéré l'univers des mensonges de l'Aton, il reconnaissait là la seule vérité jamais proférée par le dieu – il serait abattu à son tour. Cette prophétie qui annonçait sa fin causa elle-même sa perte.

« Nous sommes les derniers dieux ! » rugit encore l'Aton.

C'était vrai encore. En refusant la lutte menée par Kaldar, leurs homologues s'étaient abandonnés à l'oubli. Nul ne prendrait le flambeau lorsqu'il tomberait de ses mains. Tandis que mouraient les lointains échos de la chute de son plus grand ennemi, Kaldar sut qu'il était enfermé lui aussi ; deux vérités le tenaient dans leurs chaînes, incapable de prévenir le retour d'un adversaire trop puissant pour l'univers...

Adrian von Zögarn, Notes sur le kaldarisme


Après quelques hésitations, le dieu-soleil se décida à porter sa vague jusqu'à la surface de Kaldor. Le métal de sa coque entra en fusion ; il s'arrachait par écailles de milliers de tonnes. Hélios le pelait comme un fruit. Il plantait des aiguilles de lave en divers endroits de la mégastructure, des forages aléatoires pour le sonder, pour vérifier qu'il ne se trouvait là nul piège ; qu'il pouvait dévorer Kaldor en toute sécurité.

Hélios détacha une bribe de sa conscience, lui donna forme humaine, et s'en servit pour arpenter la surface de ce dieu qui brûlait ; pour entrer dans ses rouages, observer l'effondrement de ses couches superficielles, remonter le long de ses tunnels et fouiller son cœur. L'essence de Kaldor lui échappait ; le dieu-sage ne semblait pas vouloir se réfugier en lui-même, plutôt s'en enfuir ; Hélios le poursuivit donc sans relâche. Il traqua sa silhouette masquée, sa forme astrale, qui se décomposait en cendres brumeuses, comme un rai de lumière passé au travers d'un prisme. Et tandis que ses mille mains et ses mille crocs se plantaient dans ce métal, arrachaient ses poutres, noyaient ses chambres et damnaient ses souvenirs, comme une armée dont il n'aurait été que le général, Hélios courut après ce dieu qui fuyait sa maison.

Car il en voulait plus ! Il voulait que ce combat continue, que Kaldor ne s'avoue pas vaincu, qu'il lui révèle quelque secret essentiel à l'achèvement de ses plans ! En un mot, que ce dieu qu'il se promettait d'anéantir depuis deux mille ans soit à la mesure de toute l'amertume accumulée contre lui !

Bats-toi ! criait-il sans cesse à ce fantôme, tandis que les flammes ruisselaient autour de lui en flots continus, tantôt flamboyantes et cramoisies, couleur d'aube et de crépuscule, comme la spirale du Temps.

Mais Kaldor ne se battait plus. Cela ne faisait plus partie de son Plan.

La silhouette grise, qui flottait telle un linceul vide, réapparut non loin pour s'engouffrer dans une porte d'Arcs. Kaldor s'enfuyait dans ses rêves. Ce raccourci dans le réel se fermait à peine lorsqu'Hélios y mit la main, pour l'emprunter à son tour.

Les flammes refluèrent alors ; la lumière se fit plus contrastée. Hélios dut s'arracher les yeux pour se réhabituer à cette nuit nuageuse, ce ciel hésitant, au loin traversé d'éclairs ; ces décharges que les peuples primitifs interprétaient comme un moyen de voyage des dieux entre leurs affaires terrestres et leur séjour céleste.

Nolim I : l'Océan des OmbresWhere stories live. Discover now