45. La spirale du Temps

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Ordre et chaos n'existent pas séparés.

Tel est le sens de ce qu'on nomme sur Terre le Taiji, spirale de l'univers et du temps, état d'unicité suprême de laquelle l'interaction du Yin et du Yang produit l'univers.

Le Taiji est ce qui correspond, pour moi, au Temps.

Caelus


Elle était partout.

Toujours.

L'univers portait son empreinte.

Vous aussi, vous l'avez connue !

Les flots dansaient une furieuse sarabande, tandis qu'Océanos se repaissait des âmes vaincues.

L'âme fuyait dans ces eaux qui se fermaient sur elle, claquant telle les mâchoires des monstres des temps anciens. L'aura maléfique des créatures qui avaient survécu à l'océan, pour en devenir les esclaves, se frayait un chemin derrière elle, la suivant à la trace. Léviathan, Kraken et Iku-Turso s'impatientaient de la tenir dans leur griffes.

Elle avait longtemps nagé lorsqu'elle émergea enfin, épuisée.

« Qui es-tu ? gronda alors l'océan, dont les vagues se mouvaient derrière elle avec la fureur d'une armée de serpents.

— Pourquoi me demandes-tu, ô gardien des mystères de l'univers ?

— Ne vois-tu pas ?

L'île qu'elle avait atteinte se réduisait comme peau de chagrin ; l'eau montait. Le liquide sombre clama pour lui ses chevilles, qu'il enserra dans ses fers.

— Tu es ici, dit l'océan.

— C'est impossible. J'ai échappé à cet endroit.

— Tu es ici, car tu n'es qu'un fragment que je brise. Mais ne vois-tu pas tous tes reflets dans la spirale du temps ?

Le courroux du dieu s'abattit sur elle ; la tempête balaya son îlot de paix et la renvoya aux tourments.

— Qui suis-je ? demanda-t-elle en écho.

— Qui es-tu ? répéta l'océan. Qui es-tu, toi que je ne peux détruire ? »

Sa vie s'échoua et revint tantôt.

Mille mondes défilèrent, aussi vite que des clignements d'yeux. L'ombre alternait avec la lumière ; l'ordre avec le chaos ; le taiji, la synthèse des deux, tournoyait en spirale, en direction d'un futur inconnu, sur une course tracée d'avance.

« Assez, gronda une voix sombre, qui appelait au changement.

Mettons fin au règne du Temps. Dévoilons le marionnettiste du Destin, et faisons nôtre l'éternité. »

Un monstre déchirait les voiles des rêves, glorifié par une musique lugubre. Un chœur de milliers de voix s'élevait des vallées que creusaient les flots de sang, chantant les lamentations éternelles des Damnés de l'enfer. Un astre sombre se levait sur le monde. Le ciel fulminait, rouge comme l'Apocalypse.

« Toi, misérable créature, qui es-tu pour t'élever ainsi contre les dieux ?

— Je suis une éternelle, s'entendit-elle répondre.

— De la main du seigneur qui réclame ce monde pour s'en repaître, je te condamne à l'oubli. Meurs ! »

Et elle mourut.

Et elle naquit.

Chacune de ses vies, un mouvement d'horloge ; les engrenages du Temps et la roue du Destin tournaient ensemble ; les yeux s'ouvraient de nouveau, la lumière entrait de nouveau en le monde.

Nolim I : l'Océan des OmbresWhere stories live. Discover now