54. Son rêve

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L'Aton pointa un doigt accusateur vers le monde et déclara à tous les conscients :

Voyez ! Je suis votre dieu. Et vous n'adorerez pas d'autre dieu que moi, car je suis jaloux.

Je suis venu apporter la division sur vos mondes ; je jetterai à bas les empires et les nations et tous me reviendront. J'arracherai le pouvoir des puissants et il me reviendra.

Voyez ! Je suis venu apporter l'unité, car je serai votre seul dieu.

Il étendit sa main vers les cieux et broya les étoiles.

Chant des okranes, Texte apocryphe


Des flammes remontaient sans cesse sur la silhouette d'Aton, étrangement calme malgré la douleur qui le définissait – car l'enfer était en lui, ce soleil qu'il avait fait sien, un jour de grande colère et de grande détermination.

« Je suis Christophe-Nolim.

— Je ne te connais pas. »

Il essayait de voir l'homme derrière le monstre, mais c'était impossible. Après deux mille ans d'une telle existence, toute projection humaine d'Aton ne pouvait plus être qu'un mensonge.

« Es-tu un envoyé de Kaldor ? » s'exclama le dieu-soleil.

Sans quitter Christophe du regard, il déposa un genou à terre. Des cendres s'accumulaient au coin de ses yeux, qu'il ôta d'un geste négligent. Ses ailes continuaient de s'étendre. Il attendait qu'elles soient prêtes.

« C'est cela.

— Quelle armée t'accompagne ?

— Il n'y a que moi.

— Alors, qui est cette personne à tes côtés ? »

Écho posa une main sur son épaule. Elle n'avait pas besoin de parler. Aton ne devait pas s'envoler. Il ne devait pas se libérer de son exil. Tous deux, symétriques comme les deux faces d'un miroir, déplièrent des lances de pur métal, démultipliées par des copies d'Arcs.

« Vous n'êtes pas une armée, constata Aton. Je ne comprends pas. Je pensais que Kaldor m'enverrait une armée de mages d'Arcs.

— Il n'en a peut-être pas besoin, murmura Écho.

— Non. C'est donc que Kaldor souhaite me rencontrer de nouveau. Il en sera ainsi. »

Christophe tenta de l'attirer dans ses rêves, comme il l'avait fait avec Arès. Aton sembla à peine le remarquer, il arracha les fouets d'Arcs qui tentaient de s'accrocher à ses bras et, en retour, lui asséna ses propres pensées.

Kaldor avait son plan, Aton, son projet.

« Galaxies et quasars, entonna le dieu, étoiles et planètes, minéraux et végétaux, tout dans cet univers ne fait que consommer une quantité finie d'énergie cohérente, pour la transformer en énergie incohérente. Naître, vivre, mourir, évoluer, être dispersé par le vent. J'ai connu ce mouvement que l'on nomme la vie. Tout immortel doit prendre conscience que ce mouvement mène au néant.

— Pourquoi avez-vous affronté Kaldor ?

— Les dieux ne parlementent pas. Ils ont parfois des visions différentes de ce que doit être le monde. Quand c'est le cas, il n'y a pas de nécessité ni de moyen pour l'un ou l'autre de se convaincre. L'affrontement est inévitable. »

Une série d'éclairs frappa les alentours, comme si à la faveur d'une conjoncture cosmique, le ciel et la terre se rapprochaient.

« L'univers est condamné, dit Aton doucement. Par la flèche du Temps. Parce que rien n'est éternel, rien n'est. À grande échelle, la Création se délite, car la force du Chaos l'emporte lentement sur celle de l'Ordre. L'univers n'est qu'une vague. Elle ne s'écrasera sur aucun rivage, mais, au contraire, perdra de son énergie de million en million d'années, jusqu'à ce que la vie elle-même s'éteigne. Le Temps est aveugle. Il veille à ce que tout ce qui naît meure. À l'échelle microscopique, vous voyez encore un cycle. À l'échelle cosmique, c'est une fuite en avant. La création se vieillit, se flétrit et agonise. Les galaxies se pulvériseront lorsque la force inexorable qui les étire l'emportera sur leur cohésion interne. En fin de compte, toute l'énergie sera diluée dans cet espace. Le plus absolu et le plus froid des silences s'emparera de cet univers et il connaîtra une mort infiniment longue.

Nolim I : l'Océan des OmbresWhere stories live. Discover now