56. Le dévoreur d'étoiles

22 8 0
                                    


Des milliers d'années de science nous apprirent que dans cet univers, toute chose, matérielle ou immatérielle, est appelée à être détruite.

Pour les vivants, on nomme cela la mort.

Pour les souvenirs, on nomme cela l'oubli.

Pour les empires, on nomme cela la chute.

Pour les dieux, on nomme cela le crépuscule.

Caelus, Archives de la bibliothèque


Lorsque Kaldor comprit que le dieu-soleil remontait de l'abîme, ses deux derniers aspects fusionnèrent en une seule entité. La fragmentation n'avait plus lieu d'être. Pour un temps, le dieu-sage serait entier, tel qu'il aurait toujours dû être, et pour un temps, il comprit tous les tenants et les aboutissants du Plan.

Reste près de moi, avait-il demandé à Shani. Son médiateur arpentait depuis les ruines désertes de Stella Ostium en ruminant ses réflexions, d'Aléane à Christophe en passant par Aton.

Le Plan se met en mouvement, songea Kaldor.

Lorsque les premières lueurs traversèrent le ciel vide d'Ostium, brève série d'étincelles filantes, il ne fallut qu'un instant à Shani pour rejoindre son avatar, cette silhouette humaine masquée, au visage incertain, car son visage était le masque, une identité construite de toutes pièces.

« Il revient, constata Shani. Christophe revient. Vous saurez bientôt si Aton est encore en vie ou non.

— Le Plan se met en mouvement, nota Kaldor. Il me faut maintenant rejoindre mon vaisseau. Quant à toi, il te faut partir d'ici.

— Pourquoi ?

— Tu as affronté Aton une fois. Mais je suis le seul à l'avoir battu. »

Kaldor le laissa là et s'envola vers son corps de titane et de glace.

Il se redécouvrit alors, comme un malade qui s'éveille d'une longue nuit enfiévrée, et reprend le contrôle de ses membres tremblants. Car si ses propulseurs avaient été démantelés durant son demi-sommeil solitaire, leurs mégatonnes de métal avaient été réemployées à des senseurs optiques, des outils de calcul, des drones, des canons ; de puissants générateurs de champs magnétiques, gravitationnels, d'intégrité structurelle, d'ondes électriques, de pulsations gamma. Kaldor se sentit investi d'une énergie sans bornes, accumulée depuis des siècles. Sa perception de soi évolua. D'ordinaire rocher glacé dérivant dans l'espace, il se vit forme liquide, fluctuante, entourée de champs offensifs et défensifs, de protections et de projections invisibles capables de frapper partout.

Ainsi, Kaldor connut quelques instants d'espoir.

Orbitant autour d'Ostium à la même vitesse angulaire que les débris du système Arès, qui menait autrefois au Monde Solitaire, il disposait d'un point de vue englobant, décisif. Des éclairs continuaient d'apparaître au niveau du pont d'Arcs en déshérence, car Aton frappait sur cette porte fermée ; il l'encercla de puissants champs magnétiques, capables d'écarteler toute matière qui tenterait de les traverser. Cette voile invisible courait sur un millier de kilomètres.

Kaldor déploya ensuite sa flotte de drones. Sa croûte de glace éclata tout en longueur, comme s'il entrait en mue, et ils s'arrachèrent à ses flancs de métal, se dispersant en nuée argentée. Tous disposaient d'une proto-conscience sommaire ; liés entre eux par la nécessité du Plan, ils étaient néanmoins capables de prendre des décisions locales.

Confiant, Kaldor avança son esprit jusqu'à la porte – car son corps était une forteresse fixe, incapable de tout mouvement – et projeta une dernière fois son avatar humain dans l'espace.

Nolim I : l'Océan des OmbresWhere stories live. Discover now