Eidjina : au Diable la Fureur 🥀

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Allongée dans mon lit étranglant un coussin pour passer mes nerfs, je ne peux m'empêcher de songer à Judicaël. La première chose qui me saute aux yeux c'est qu'il m'insupporte. Pourquoi s'est-il totalement refermé suite à ma rencontre avec Orlando ? J'avais cru que nous avions passé ce cap depuis qu'il m'avait fait part de son passé ! J'avais eu tort. Ai-je commis un faux pas qui m'ait ôté sa confiance ? Me suis-je mal comportée ? Pire : l'ai-je blessé ? Toutes ces questions m'amènent à la seconde réalisation :

Le majordome m'obsède. Depuis que je suis arrivée ici, il est au centre de toutes mes préoccupations, et plus le temps passe, plus il y occupe une place importante. Le problème c'est qu'il sort peu à peu de sa simple case de « tuteur ». Je cherche à le voir sous un jour différent et quand il m'exclut de sa sphère privée sans explications je me sens mal, comme si son rejet me blessait. Cela signifie aussi autre chose, d'où mon ultime conclusion :

Son opinion me touche et je veux avoir un minimum de valeur à ses yeux parce qu'il en a pour moi. Voilà, je le dis : j'estime Judicaël - ce qui, soit dit en passant, ne l'empêche pas d'être insupportable quand il s'y met !

Ma tête finit dans le coussin pour étouffer mes grognements de désespoir. Et, avant que vous ne le disiez : oui, je suis pathétique !

Me sentant de nouveau perdue, incapable d'être en sécurité avec moi-même, je cherchai du soutien dans la familiarité. Ma main se referma sur mon pendentif. Comment mes parents ont-ils fait mon deuil ? Et toi, Sahir, quelle a été ta réaction ? Es-tu celui qui a eu le malheur de retrouver mon corps ? Ou bien personne n'a jamais mis la main sur mon cadavre ? Mes souvenirs sont flous, et tout ce qu'il me reste est la certitude d'être allée dans mon manoir en Transylvanie pour éviter une soirée huppée en Angleterre avec le baron Williams. Un homme odieux qui passait son temps à flirter avec des femmes plus jeunes, les attirant dans son lit en agitant quelques billets. Je l'obsédais parce que j'étais celle qui refusait d'entrer dans son tableau de chasse. Chaque fois que nous étions au même endroit, il m'abordait ou m'intimidait dans l'espoir que je cède.

Je tressaillis en me rappelant que la seule personne en Roumanie avec moi était Sahir, ce qui ne pouvait signifier qu'une chose : il a dû être le premier à faire face à ma mort. Comment a-t-il réagi ? Qu'a-t-il ressenti ? J'essayai d'arracher à mon âme un infime fragment de souvenir...

Mais aucune illumination miraculeuse ne surgit du Néant.

Définitivement seule, usée par un démon au caractère difficile, et amputée du dénouement de mon histoire, je soupirai. Il ne me restait plus qu'à déprimer dans mon coin jusqu'à ce que le majordome revienne me chercher. Un programme des plus alléchants, donc.

À peine me résignai-je qu'un cri déchira le silence, faisant presque frissonner les murs !

Je me redressai à une vitesse fulgurante. Cet hurlement n'était pas de bon augure : jamais Judicaël n'aurait laissé un tel vacarme nuire à la tranquillité de la demeure ! Rejetant toute prudence, je sautai sur mes pieds pour sortir en trombe de la chambre. Et si un traître venait d'agresser quelqu'un dans le château ? Et si un second enlèvement venait de se produire ? Alarmée, et croyant qu'une catastrophe majeure avait eu lieu, je me précipitai dans les couloirs pour suivre l'agitation générale. Apparemment, le cri avait été perçu par l'intégralité des résidents du château...

On s'amassait devant une porte ou certains firent brusquement demi-tour. Inconsciente du danger et dénuée de sixième sens, il n'y eut que mes yeux pour apercevoir le risque. Mais à ce tragique instant, il était trop tard...

C'est la terreur qui me sauva. Elle me guida au sol sans réfléchir, et je crois que si j'avais perdu la moindre seconde à le faire, c'en aurait été fini. J'ai juste rejoint tous les malheureux qui se courbaient au sol, souhaitant disparaître, m'humilier, me détruire. L'atmosphère brûlait, semblable à un brasier incandescent, et bientôt, mes poumons devinrent les victimes de cette rage palpable. Toutefois, bien que consumée, aucun son n'eut l'audace de franchir mes lèvres. Non. Il fallait se taire. Se taire et disparaître. Se résoudre à côtoyer le rien pour ne jamais, au grand jamais, arriver à la cheville du Diable.

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now