Eidjina : Descente aux Enfers 🥀

77 6 11
                                    

Un éclat de lumière jaillit des ténèbres.

Aussi loin que remonte ma mémoire d'humaine, je me souviens avoir, comme presque tous, cherché l'Amour. Celui au grand « A», qui donne de la fièvre et nous consume. Le légendaire, éternel, incassable. Je l'ai attendu longtemps, sans m'inquiéter, voyant toutes les années qu'il me restait à vivre comme le résultat de ma patience. Ma mère me répétait sans cesse que j'avais toute l'existence devant moi, que ma jeunesse m'exemptait de la crainte de la solitude. Je la croyais, je n'avais pas peur, envisageant mes derniers âges comme un lointain futur. Je ne saurais pas vous dire exactement quand la situation a dérapée. Je me rappelle simplement avoir dit « un jour, je rencontrerai l'homme de ma vie. »

Et puis c'est le trou noir. Plus rien que le vide. Que le froid. Que la peur. Plus rien que cette solitude dont je me croyais protégée mais qui m'a rattrapée sans un bruit. Quand la prudence m'a-t-elle quittée ? Quand ai-je oublié de chérir chacun de mes jours comme s'il était le dernier ? Je ne saurai jamais.

Il n'y a plus que les ténèbres et mon corps invisible, perdu dans une dimension inconnue. Lui qui tremble convulsivement à la recherche d'un repère. J'ouvre les yeux mais ne vois rien, bouge mais ne fait aucun geste

Suis-je allongée sur le sol ? Suis-je debout, à l'envers ? Seulement... quelque part ? Je tente en vain d'appeler à l'aide, hélas, aucun son ne franchit mes lèvres. Où m'a-t-on enfermée ? Je me sens légère, presque en apesanteur. Je chute. Tout doucement. Je me questionne soudain : vais-je un jour m'arrêter de tomber ? Y a-t-il un fond à cette cuve immense ?

Le temps s'écoule. Le rien persiste. Ma conscience se tait, s'endort...

Je me réveille. Ai-je dormi ? Non, c'est impossible. Mes paupières lourdes s'ouvrent lentement, essayant de sortir de leur sommeil profond. Sans chercher à comprendre quoi que ce soit, j'essaie de me stabiliser, de retrouver mes sens. Petit à petit mon enveloppe spectrale reprend consistance, je m'alourdis. La sensation est désagréable, les pavés humides sur lesquels mon corps repose collent à ma peau, l'obscurité alentour brûle ma rétine fatiguée. Je plie les doigts. Ils se contractent : c'est bon signe. Je bouge la tête. Elle répond à ma demande : c'est bien. Après quelques exercices supplémentaires je réussis à connecter mes membres, à les sentir et à les diriger de nouveau. Je redresse mon buste avec quelques difficultés, observe la nuit et le brouillard d'où ressortent de hauts piliers de pierre. L'atmosphère est lourde, rendant ma respiration laborieuse : jamais ma cage thoracique n'avait été aussi exiguë.

J'ai pris le temps de m'adapter à ces sensations nouvelles. Bien que mon enveloppe charnelle n'ait pas changé à première vue, elle me paraît nettement plus encombrante. Une simple robe rouge froissée m'habille, je n'ai rien d'autre, pas même de chaussures. Pourquoi suis-je vêtue comme ça ? D'où viens-je ? Quel est cet endroit à l'aspect angoissant ? N'étant pas certaine d'être en capacité de me remettre debout, je fouille dans ma mémoire vacillante un indice ou une réponse qui fera taire mes peurs. Hélas, il ne me reste que des bribes de souvenirs, des lambeaux arrachés par-ci par-là, des pièces hasardeuses qui rendent le tableau incomplet. Le visage de mes parents est terni, identique à une époque révolue. Ma mémoire est un puits de souffrances sans fin, chaque instant passé me noie dans la nostalgie... Pourquoi ?

Maman, papa, Sahir, où êtes-vous ? Que m'est-il arrivée ?

Semblable à une enfant trop jeune qui n'a pas fait ses premiers pas, je cherche la présence rassurante de ceux qui m'ont fait grandir. Je me souviens avec regret de celui qui fut mon guide, à la fois professeur, protecteur et ami, sans jamais pourtant se cloîtrer dans un rôle. Toi mon tuteur, mon ange gardien : Sahir, toujours là quand mes parents m'abandonnaient. Parmi les derniers éclats de souvenirs qu'il me reste, je te revois encore. Tu détestais que je lise des romances, me soutenant qu'elles me vendaient un idéal inatteignable : tu redoutais ma désillusion comme si c'était la tienne. Un jour, me trouvant en tête à tête avec mes rêves une énième fois, tu as pris mon ouvrage avant de me promettre que je parcourrai le désert de ton pays natal à tes côtés, que je vivrais une aventure bien plus incroyable que celle écrite sur ces ramassis de mensonges. J'ai vécu au rythme de cette promesse ardente, me levant chaque matin en songeant que nous partirions bientôt écumer les rivages de sable infini. À mes vingt-cinq ans, disais-tu, nous partirions tous les deux.

Soumis À Leur DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant