Eidjina : Plonger dans les Ténèbres 🥀

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Nous devrions sourire. Être heureux. Orlando n'est pas un ennemi : il a fui sans motivations malveillantes, il nous a abandonnés parce qu'il avait peur. Peur comme nous avons peur. Quand je réalise ça, j'ai l'horrible impression que je pourrais en rire d'une seconde à l'autre tellement c'est pathétique...

La même crainte, le même crime, la même peine.

Mais ce qui est le plus dur dans ma réalisation, c'est de comprendre enfin le majordome. Ici-bas la moindre miette de pitié et le moindre attachement peut conduire n'importe quel individu à la potence. Juste parce qu'il aime.

Mais quel est ce monde ?

Quand je vois une telle cruauté, une telle injustice, je veux haïr l'Enfer. Et ce qui me détruit le plus profondément, c'est la certitude que j'en suis incapable. Parce que rejeter l'endroit où vit Judicaël m'est impossible.

Il ne faut plus mentir : mes sentiments pour lui ont changé, l'admiration a laissé place à quelque chose de plus grand. Petit à petit, son masque de rigueur s'est fissuré et une partie de mon âme s'est infiltrée dans les brèches pour atteindre la lumière qu'il cachait dans les tréfonds de son cœur. Sans même que je ne m'en aperçoive, son feu m'a consumée pour donner naissance à des flammes qui m'étaient inconnues. Ou presque.

Lorsque je suis morte, mon premier regret fut de n'avoir jamais mis la main sur l'homme de ma vie. Et maintenant que j'y pense, c'est paradoxal ! Qui aurait cru qu'il me serait possible de succomber aux charmes d'un démon après la Fin ? Celui même qui m'insupportait avec ses airs de tyran insensible ? Mais cette impassibilité n'est que le manteau d'une robe somptueusement fragile : le majordome est une mosaïque aux allures de monochrome.

Et je l'aime pour ça.

Mon regard se posa sur lui, adossé au mur. Il avait fermé les yeux et semblait dans une sorte de méditation profonde.

— Judicaël...

Je n'étais pas sûre de quoi dire. Après tout, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux. Devrais-je tout de même m'excuser en me portant responsable de nos sentiments dans l'espoir d'apaiser son chagrin ?

— Je me rends seulement compte à quel point vous aimer est criminel, murmurai-je.

Pour la première fois, j'ai déclaré mon amour. Mais force est d'admettre que dans mes fantasmes, c'était moins douloureux. Je m'attendais d'ailleurs à une réaction assez virulente de la part du domestique mais, étonnement, ce ne fut pas le cas. Il se contenta de prendre la déclaration comme elle venait.

— Nous sommes deux en faute, alors, souffla-t-il.

Il y eut un long silence durant lequel personne ne parla. Je compris qu'en fait, nous connaissions la vérité depuis un long moment, ayant juste préféré l'ignorance en attendant que notre équilibre se brise.

— Quand bien même, lui dis-je avec une certaine honte, j'ai forcé les choses et c'était mal.

J'osai un coup d'œil de plus dans sa direction, ne sachant pas si j'avais le droit de revendiquer un quelconque regard de cet homme déshonoré par ma faute. Son effondrement était lisible.

— Je suis désolée, chuchotai-je à nouveau.

Mes phrases me paraissaient grotesques. Je n'avais aucune idée de comment m'y prendre et il n'y avait aucune issue. Mais, voir les lèvres contractées et les paupières closes du majordome dans la preuve d'un terrible combat mental m'était insupportable.

— C'est inutile de l'être...

Sa réponse est brute, toutefois véridique. J'aperçois cependant une fissure à travers son visage et l'inquiétude me submerge à une vitesse fulgurante : il semble sur le point de céder.

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now