Judicaël : Le baiser de la Dame 🥀

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NDA : Aux échecs, lorsque la dame met le roi en échec et mat, on nomme cette technique « le baiser de la dame ». Ici, c'est ce à quoi le titre fait référence ;)

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Il n'y a toujours eu que le prince Ewan. Le seul qui m'ait jamais offert la chance d'être écouté. Celui qui m'a compris, celui qui m'a relevé, celui qui m'a voulu. Je lui appartiens. Qui d'autre que lui voudrait de moi ? Personne.

« C'est mieux de connaître ses amis, non ? »

Il n'y avait toujours eu que le prince Ewan. C'était une amitié basée sur la douleur, une relation à la limite du désespoir. Nous nous sommes accrochés à l'autre comme des noyés, désirant juste quelqu'un qui nous comprenne. Et sans crier gare, nous avons grandi : mon partenaire est devenu mon maître, moi, son serviteur. Il m'a posé une chaîne, m'a réclamé comme sien, et m'a promis que son étreinte serait meilleure que les autres.

Je l'ai cru, bien sûr : je n'avais que lui.

La défunte m'a brusquement dessillé les yeux. Elle est venue sans revendications, a écouté mes peines sans exiger de dette. Elle aurait pû, face à ma vulnérabilité. Elle aurait dû, si elle était démon. Mais Eidjina est une humaine. L'affection à son sens n'est pas un crime.

C'est à la fois grisant et terrifiant, savez-vous, de goûter à la véritable estime après des millénaires d'ignorance. On s'y accroche soudain et refuse de lâcher prise, conscient que ce privilège est inestimable. Pourquoi ? On pose toujours la question, parce que nous, créatures de l'Enfer, ne pouvons simplement pas comprendre. On essaie encore à plusieurs reprises d'obtenir un aveux, et enfin, on réalise.

La bienveillance n'a, en fait, aucune réponse. Elle est donnée sans contrepartie.

— Vraiment, Judicaël ? Gronda le roux.

Brusquement, mon vieil ami fut là. Je décelai dans son regard l'étincelle de jalousie que je lui connaissais si bien, cette soif de possession intarissable qui ne m'avait pas inquiété durant tous ces siècles. Au fond, je ne peux lui en vouloir. Il a peur. Peur de me perdre et de perdre avec moi tout ce qui le fait tenir debout. Il pense sans doute que je vais disparaître maintenant qu'une autre est prête à prendre sa place.

Quelque chose m'a fait mal, à cette perspective. J'ai réalisé que, si pendant ces innombrables millénaires, je lui avais fait aveuglément confiance... ça n'avait jamais été son cas.

— Ai-je commis un acte vous ayant déplu, mon prince ? M'enquis-je avec prudence.

L'Ombre du Diable, lorsqu'il est aveuglé, peut devenir dangereux. Il vaut donc mieux endosser le rôle du coupable pour éviter une situation de crise. Et c'est d'autant plus important que l'indienne à ma gauche semble sujette à l'effroi sous le regard assassin de mon maître.

— Tu me déçois, cracha-t-il.

Ses mots me touchèrent en plein cœur mais je n'en montrai rien. Je suis avant tout un majordome et notre amitié n'a rien de très public : je me dois d'être irréprochable. C'est injuste, évidemment. Tout est injuste ici, pour être honnête. J'ai passé mon existence entière à devenir loyal pour être finalement accusé d'infidélité ! N'est-ce pas un comble ?

Pourtant, les voilà face à face : le prince Ewan contre Eidjina. Deux visions du monde qui s'opposent. Neuf cent millions d'ans contre quelques nuits. Prisonnier d'un dilemme impossible à résoudre et incapable d'être raisonnable, ce sont mes sentiments qui parlèrent en premier.

Mon prince pensait à tort que je le laisserais au profit de la défunte. J'aurai pu lui assurer d'entrée de jeu qu'il n'y avait rien entre elle et moi, c'est vrai. Après tout, c'est elle qui a prononcé le mot fatidique et nous a mis dans l'embarras ! Je n'ai pas non plus validé ses propos alors un rejet de ma part ne l'aurait même pas choquée, mais...

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now