Eidjina : Le Mauvais Gentlemen 🥀

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Je chavirai, m'élançant dans le vide, fixant les marches qui m'ouvriraient le crâne d'une seconde à l'autre. Je crus être condamnée au Néant et mon cœur battit un coup si brutal qu'il faillit sortir de ma cage thoracique...

Je suis perdue. C'est fini.

Une force inconnue me retient brusquement. Elle s'enroule à ma taille et mon poignet pour mettre fin à la chute mortelle qui manque de m'avoir à nouveau. Je tombe toujours, c'est à devenir fou. Je perds d'abord la vie en sautant dans le puits sans fond de l'Enfer, et me voilà prête à abréger ma dernière existence. Pourtant, je ne sais pas voler. Je n'ai que l'espoir et la persévérance pour me retenir : ce lien souvent trop fragile qui cède sous mon poids malgré ma volonté...

Mes yeux noirs s'accrochent désespérément au Disthène bleu de son œil et à la Tourmaline verte de l'autre comme si les pierres de ce regard figé étaient l'issue du cauchemar. Le sang pulsait dans mes veines à un rythme ralenti, l'adrénaline et le trouble me faisant perdre le fil de mes pensées. Je ne sais quoi dire. Comment décrire l'instant étrange. Je me sentais légère comme lorsqu'il m'avait portée dans ses bras, j'avais peur d'une part, j'étais dans l'incompréhension totale de l'autre... De quelle façon expliquer notre confusion mutuelle ? J'en perd mes mots.

J'ose croire qu'il était lui aussi perdu, si j'en juge l'arrêt sur image qui le paralysa - me semble-t-il - sur place. Cependant, quelque chose de complexe à décrire se produisit, nous enveloppant dans un cocon en à peine quelques secondes.

Pourquoi me retenez-vous ? Me disais-je. Vous qui n'êtes qu'un mur de glace impénétrable et qui prônait le mérite de l'insensibilité, vous qui me traitez comme inférieur à votre race ? Pourquoi vos bras me protègent-ils sans cesse à l'inverse de vos paroles ? Pourquoi ne dites-vous rien alors qu'il suffirait d'un mot pour briser l'atmosphère incongrue de la scène ? Qui êtes-vous, sous votre armure ? Qui est l'homme derrière ces yeux brûlant d'une flamme rigoureuse inégalable ?

Le trouble anonyme qui nous guidait débuta un jeu de regard terrifiant dont le vainqueur serait celui ou celle qui trouverait la faille de l'adversaire en premier. Il ne s'agissait pas d'une tension sexuelle ni d'une admiration réciproque : c'était une analyse de l'autre instinctive, à croire que le moment était idéal. Il me sondait sans se l'avouer et je fis de même, cherchant quelque chose dans l'éclat ardent de ses orbes asymétriques.

Sa main à ma taille était solide, ne tremblant pas d'un micromètre. Il ressemblait à une statue d'ivoire et son assurance me fit frémir. Judicaël n'était pas le genre de personne à courber l'échine par faiblesse ou à flancher le genou de dépit : c'était quelqu'un de robuste dans sa tête malgré sa position de soumis aux monarques. Je pris seulement conscience de l'ampleur de son rôle quand je remarquai que la position sociale du majordome des huit princes de l'Enfer devait être un titre véritablement remarquable ! Certes, on a tendance à mettre en avant les souverains et à fantasmer sur eux dans les livres, néanmoins, il existe toute une panoplie de métiers exceptionnels ! Hélas, on n'en entend peu parler et ils ne sont pas reconnus à leur juste valeur...

Le visage du domestique était un monochrome indéchiffrable. Absorbée par ma contemplation j'en oubliai presque de respirer, les doigts fermement agrippés à sa manche et le regard plus profond que d'habitude. Qui est-il ? Qui êtes-vous ? Je n'ose cependant rien dire.

À décrire aussi maladroitement, on pourrait croire que la situation a duré des heures. Toutefois, ça ne fut que trois secondes tout au plus. Troublant, n'est-ce pas ? La corde qui me retient cède brutalement : il me redresse d'une impulsion si vive qu'elle brise ma plénitude. Avant même que je ne reprenne mon souffle, il me repousse dans un rejet démonstratif...

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now