Judicaël : Chien de Faïence

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Douze nuits sont passées. Impitoyables.

Il est arrivé. Ce jour-là.
Elle est sortit de l'ombre. La Fin.

En fait, lorsque nous nous sommes aperçus que notre sablier avait fini de faire tomber tous ses grains, nous n'avons pas réagi.
Aurions-nous du pleurer ? Crier ?
Eidjina m'a simplement regardé dans les yeux et tenu la main. Et comme si elle me souhaitait une bonne journée m'a lancé :
- C'est aujourd'hui.
Je l'ai fixé sans rien dire, une partie de mon être étant apathique. Mon esprit cherchait à me défendre de la réalité. Cruel est le Destin.
Au fond de moi j'avais imaginé plusieurs plans tous aussi invraisemblables les uns que les autres. Mon subconscient cogitait dans mon sommeil, me rappelant sans cesse la vérité.

Nous ne voulions pas être séparés.
Mais est-ce que deux personnes aussi insignifiante que nous avions notre mot à dire dans cette histoire ?

Ce n'est pas que notre problème : l'absence de l'âme au paradis risquait de causer un incident diplomatique, qui occasionnerait une guerre, puis l'Apocalypse.

Notre amour a-il un poids face
à la fin des mondes ?

Acquiescer serait égoïste, disons-le.

Ma milady et moi décidâmes de nous lever, puisque paresser n'aurait été qu'une façon de fuir absolument ridicule.
Pour nos derniers jours nous avions décidé de faire chambre commune. Nous ne nous soucions plus des convenances ni des rumeurs. Si les gens se plaisaient à critiquer nos manières cela n'avait aucune valeur à mes yeux.

Nous n'avions que douze nuits.
Jamais je ne les gâcherai pour les autres.

Car ce temps m'est précieux.
Eidjina m'est précieuse.

Elle est ma vie,
Elle est mon sourire,
Elle est l'infini,
Et aussi mon avenir.

***

Eidjina était en train de préparer sa tenue. Sa Majesté lui avait bien fait comprendre qu'il était de rigueur d'être bien habillé pour un tel événement. Si elle ne voulait pas que son existence au paradis tourne au drame, elle avait intérêt à se faire bien voir par l'empereur Valérian. Un tâche qui s'avérait être impossible : cet archange ne se satisfait que de lui-même. Il est en conflit avec son propre peuple !
Ma milady était donc très tendue. Elle avait eu droit la veille à un entretien personnel avec le souverain de la Géhenne pour savoir ce qu'elle avait ou non le droit de faire. En sommes, presque tout lui était interdit.
Pour sa propre sécurité nous lui avions même empêché de dire aux anges qu'elle nous avait aidé durant la révolte et qu'elle s'entendait bien avec nous.
Si cela parvenait aux oreilles des Moisissures elle deviendrait une martyr sans aucun doute.

Elle revint dans la pièce, très en colère. Elle lança une pile de vêtements blancs sur notre lit avec hargne.
- Et dire que je suis obligée de porter cette couleur immonde ! Brailla-t-elle.
Sa voix me manquerait.
- Elle n'est pas si horrible. Relativisai-je.
Je savais qu'elle ne disait ça que parce que l'idée de partir ne lui plaisait pas.
- En plus, Lucifer m'a demandé de leur raconter que j'étais malheureuse ici avec vous et que j'adorais leur peuple ! Pathétique ! S'écria-t-elle encore.
- C'est pour ta propre sécurité, Eidjina. Ce sont des créatures qui aiment les flatteries, et si tu veux rester là-haut tu devras être docile. Lui expliquai-je.
Elle tiqua immédiatement.
- Rester ? Tu veux dire... Qu'ils peuvent me faire retomber ici ? S'enquit-elle avec espoir.
Je pinçai les lèvres, conscient d'avoir piqué sa curiosité.
- N'y penses pas, c'est beaucoup trop dangereux. La coupai-je.
- Mais c'est une chance inouïe ! Cria-t-elle. Si je fais n'importe quoi...
- Tu ne feras rien du tout ! L'arrêtai-je. Tu crois peut-être que les anges sont des gentils êtres passifs ? Qu'ils te ramèneront ici à ta guise ? Ils n'en feront rien. Si tu leur dis que tu veux rester en Enfer et que tu leur nuis, ils feront tout, crois-moi, pour que tu ne remettes plus jamais un pieds ici-bas.
- Je n'ai qu'à ne pas leur dire. Objecta-t-elle.
- Et même s'ils ont assez stupide pour ne pas comprendre ta démarche, repris-je, ils ont leurs propres prisons, leur propre jugement, et leurs propres punitions. Tu veux connaître quelque chose d'ironique ? Ils sont une pire réputation d'intolérance que nous. Les anges incarnent la perfection. Une seule bavure et tu es finie.
- Est-ce qu'ils peuvent anéantir des gens ? S'inquiéta t-elle.
- Oui. Et je refuse que tu prennes un tel risque.
Elle me regarda avant d'exploser :
- Mais je ne veux pas partir ! Hurla-t-elle.
- Moi non plus, crois-le bien ! Lui répondis-je.
- Tu n'essaie pas de trouver une solution ! M'accusa-t-elle.
- Je suis le fautif, maintenant ? M'énervai-je.
- J'ai l'impression que tu laisses passer avec l'espoir que ça se termine vite ! Poursuivit-elle.
- Tu crois que ça ne m'effecte pas, peut-être ?
- Tu ne réagis pas de façon à me rassurer en tout cas ! Continua-t-elle.
Je soufflai du nez, clairement mécontent. Nous savions tous les deux que cette dispute ne rimait à rien.
Nous étions sur les nerfs à cause de toute cette tension.
- Écoute, je m'en vais. Je te laisse te changer et passer ta colère sur quelqu'un d'autre, moi, j'ai autre chose à faire. Déclarai-je en partant.
Je l'entendis pester dans son coin lorsque je claquai la porte pour sortir.

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now