Bonus

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Trois siècles ont passé.

Trois-cent ans durant lesquelles j'ai vécu entre les mêmes murs, dans le même noir, dans la même peur, et avec le même cauchemar.

Kayron. Toujours Kayron.
Avec Eidjina. À Jamais Eidjina.

Parmi ces trois siècles j'ai passé cent-cinquante ans en exile pour avoir voulu rechercher ma bien-aimée. J'aurai dû être anéanti, croyez bien que je le voulez. Mais le prince Ewan a plaidé ma cause avec vigueur pour rappeler tous ces millénaires de servitude durant lesquelles je les ai soutenu sans broncher.
J'ai donc simplement était exilé dans une cellule sombre sans lumière. Mais cela ne m'a pas brusqué, ni traumatisé.

Je ne supporte plus l'agitation.
Je n'aime plus les gens.
Le bruit.
Les rires.

La vie.

Je suis acariâtre. Ce genre d'homme que vous évitez dans la rue, qui vous effraie la nuit. Cela fait trois-cent ans que je n'ai plus sourit. Je ne connais même plus ce mot. Et cela fait tout aussi longtemps que la joie n'a pas réussi à pénétrer la glace qui s'est créée dans mon être.

Lorsque je suis revenu au château, la première chose que j'ai fait fut de tout brûler.
Les draps, le papier peint, les rideaux, les habits, les meubles... J'ai tout détruit, pour tout oublier.

C'est la défense des cœurs brisés.

Je suis revenu différent de moi-même, d'ailleurs, la plupart de mes collègues ne m'ont pas reconnu. Je suis si... Rien.
La seule chose à laquelle je me suis raccroché est mon travail.

Ma vie est mon métier.

Mes maîtres m'ont gardé à l'œil les premières années, et ont fini par comprendre que je n'aurait plus jamais la force de me révolter. Pour être rebelle encore faut-il être vivant. Je ne le suis plus.

Je me tue toutes les nuits pour être tellement occupé que je ne puisse plus réfléchir. Parce qu'à chaque fois que je ferme les yeux, je refais le même cauchemar. Je revois la même scène.

Toujours. À jamais.

Je ne dors presque plus : mes rêves me font trop peur. Dedans je me questionne trop, me demandant si ma milady est encore vivante, si on la traite bien, si elle est heureuse ou encore si elle a épousé un ange. Cette perspective m'a fait verser beaucoup trop de larmes, je préfère l'ignorer.
À la place, je refais les mêmes actions, comme un automate. J'ai organisé mes journées selon un emploi du temps précis que je déteste changer. Les autres domestiques disent que je suis devenu un tyran. Je suis tellement maniaque et exigeant envers eux que certains se sont déjà mis à pleurer devant moi.
Mais qu'est-ce que ça peut me faire ? Il n'ont qu'à faire ce qu'on leur a demandé comme tout le monde.

On n'a pas tout ce qu'on veut dans la vie.

Je suis donc devenu ce dictateur glacial qui ne supporte plus les imperfections. Si mes subordonnés me détestent, mes princes me préfèrent ainsi. Tous les problèmes politiques qui ont eut lieu en Enfer durant ce temps ne m'ont fait ni chaud ni froid. Les échos des armes et les cries d'agonie ressemblent au silence, comme les voix qui m'appellent.

Ce jour-là, j'étais en train de diriger mon équipe pour qu'elle nettoie à la perfection la salle de bal. Je ne leur donnais aucune pause et les faisais travailler comme des esclaves. Je savais que j'étais méchant, mais que voulez-vous, les morts ne connaissent pas l'empathie.
Ewan arriva dans la pièce et osa marcher sur le carrelage humide. Je me retins de lui faire des remontrances puisqu'il s'agissait d'un prince, mais fit comprendre à mon équipe qu'elle avait tout intérêt à relaver cet endroit après le passage du monarque.
- Judicaël, j'ai besoin de te parler. Viens dans ma chambre. M'ordonna t-il.
- Bien, mon prince. Acceptai-je, apathique.
Je le suivis et nous rejoignîmes ses appartements. Là, il ferma la porte à clef.

Soumis À Leur DestinWhere stories live. Discover now