19. Le chasseur de ptérodactyle

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Dès que tous ses voyants furent dans le vert, Jean actionna la manette des gaz et s'éleva à quelques mètres de hauteur. Marie Madeleine s'envola à ses côtés, mais il lui fit signe de s'éloigner... Elle ne réalisait pas que les jets émanant des tuyères de son engin risquaient de la déstabiliser ou pire : de la faire s'écraser ! 

Il attendit qu'elle se soit suffisamment écartée pour enclencher la manette des gaz à fond. Son chasseur s'éleva rapidement au-dessus de Magdala. Il revécut pendant quelques instants les sensations de son vol stratosphérique... Tous ces souvenirs qui lui revenaient à l'esprit le plongèrent dans une douce euphorie.

Il redescendit ensuite, dans le but de venir survoler de très près les spectateurs émerveillés par ce spectacle fantastique. Ces derniers furent complètement surpris de le voir ensuite plonger vers la mer, au ras de la falaise. Il frôla son mur de roches à grande vitesse, effectuant des cabrioles le long de ses escarpements. Son altitude diminua rapidement, jusqu'à ce qu'il se retrouve au raz des vagues qui venaient s'écraser au flanc des rochers.

Il s'aventura un peu plus loin du rivage, distinguant clairement quelques grandes ombres se mouvant lentement sous la surface de l'eau. Il devait donc effectivement y avoir pas mal de poissons, de différentes tailles, dans les océans d'Éden. Leur régime pourrait bientôt ne plus être exclusivement végétarien !

Soudain une ombre plus grosse que les autres se mit à grandir sous lui. Une énorme mâchoire, pleine de dents acérées, surgit de la surface de l'eau soulevant une formidable gerbe d'écume tout autour d'elle... Jean eut à peine le temps de s'élever d'une bonne cinquantaine de mètres afin d'éviter d'être happé par les terribles mandibules du monstre marin. Il n'était plus du tout convaincu de s'aventurer un jour dans ces eaux dangereuses !

Une nouvelle ombre attira son attention. Elle se rapprochait lentement de la sienne. Il comprit qu'il ne s'agissait plus d'un quelconque poisson, mais bien d'un autre chasseur qui tentait de l'engager par-derrière en profitant de l'éclat des deux soleils d'Éden pour masquer son approche.

Sa réaction fut tardive... mais efficace. Il enclencha ses réacteurs ventraux à pleine puissance, s'arrêtant net dans les airs. Son agresseur se retrouva forcé de le dépasser avant de pouvoir en faire autant. À sa grande surprise, il distingua très clairement la longue chevelure blonde de l'Amiral à travers la verrière de l'autre chasseur ; elle n'avait même pas pris la peine de mettre son casque !

Les deux engins s'engagèrent avec frénésie dans un ballet aérien qui les fit dangereusement descendre vers la surface de l'eau... L'Amiral n'avait sans doute pas vu le monstre qui avait failli l'avaler quelques secondes auparavant. Jean décida donc, la mort dans l'âme, de rompre le combat afin de l'attirer vers le haut, à l'abri du gigantesque prédateur marin.

Elle vint se mettre en formation à ses côtés, lui faisant signe, l'index en avant, qu'il avait le commandement de leur patrouille pour les ramener au campement. Ils se posèrent aux côtés des deux autres chasseurs, et de la navette, restés au sol. Une fois leurs réacteurs éteints, ils ouvrirent leur verrière et se retrouvèrent très vite hors de leurs appareils. L'indiscipliné, venu chercher sa combinaison de vol félicita chaleureusement le héros du jour :

— Pas mal pour un débutant, s'exclama-t-il d'un ton admiratif...

— Ça ne t'a pas semblé bizarre de revenir avec ta verrière cette fois-ci ? lui demanda le Chef d'escadrille.

Cette remarque fit sursauter les trois autres pilotes. La fille s'exclama :

— C'était donc lui... le chasseur de ptérodactyle ?

— La tête brûlée dont tu nous as parlé durant notre voyage ? demanda le quatrième.

— Bienvenu au sein de l'Escadrille Spatio-Temporelle, s'écria l'indiscipliné bien heureux de rencontrer un pilote à la réputation encore pire que la sienne...

— Tu ne sembles pas avoir trop perdu la main, après trente ans ! lui lança l'Amiral, en guise de félicitation.

— Je ne vous ai pas encore tout dit Amiral. J'ai un peu triché. Ça ne fait qu'une bonne dizaine d'années pour moi, répondit Jean en ne mentionnant rien de plus à propos de son long coma...

Les membres de l'équipage de la frégate se demandèrent ce que cela pouvait bien signifier... Les insurgés auraient-ils eux aussi découvert la possibilité de se déplacer dans le temps ? Mais ils n'osèrent pas aborder ce sujet délicat, préférant observer Jean se faire chaleureusement acclamer par ses compagnons.

L'Amiral se rendit compte de la fantastique complicité qui unissait les insurgés. Le monde qu'ils avaient bâti sur Éden était si merveilleux. Ces enfants ailés, en train de jouer avec leur mère, avaient ici un avenir si prometteur. Allait-elle avoir le cœur d'y mettre fin ? Mais comment pourrait-elle faire autrement ? La toute puissante Fédération ne leur pardonnerait jamais, ni à elle ni à son équipage, s'ils ne ramenaient pas la totalité des Indésirables vers la troisième planète.

Elle s'écarta du petit groupe qui continuait à commenter les événements de cette matinée mouvementée. Ses pensées la préoccupaient. Elle ne voulait pas prendre la responsabilité de mettre son équipage hors la loi. Elle ne savait comment résoudre ce dilemme qui tourmentait son esprit. Aucune des options qui s'offraient à elle n'était acceptable. Il lui faudrait inexorablement trahir ses convictions d'une façon ou d'une autre en sacrifiant soit les insurgés... soit son équipage !

Sans dire un mot, elle rejoignit Marie qui se tenait à l'écart. Elle alla se placer à ses côtés afin d'observer le spectacle réjouissant des évadés et des membres de son équipage occupés à fraterniser... Ce fut Marie qui rompit le silence :

— Je dois dire que nous nous attendions à tout sauf à cela !

— Il en va de même pour moi, répondit l'Amiral soulagée d'avoir enfin trouvé quelqu'un à qui se confier. Pouvez-vous me parler un peu plus en détail de ce fameux Maître qui vous a guidé jusqu'ici ?

— Bien sûr Amiral. C'était un homme formidable. Il était, tout comme vous, entièrement dévoué à la Fédération. Il croyait en ses commandements et en ses principes. Il avait fondé tous ses espoirs dans votre expansion vers les étoiles avoisinantes... C'est pour cela qu'il fut mis en charge des projets de voyages interstellaires. Mais lorsque ses études furent avortées, par manque de budgets, son état de santé se dégrada rapidement. Ses rêves étaient devenus sa seule raison de vivre...

— Comment l'avez-vous connu ?

— J'ai été diagnostiquée comme Indésirable dès mon entrée dans la pyramide. Contrairement à vous, je n'ai pas accepté les règles de notre société impersonnelle et même, à mon avis, inhumaine à de nombreux points de vue... Je devins l'un de ses cobayes, dans le cadre de ses études sur la vie prolongée en apesanteur. Il me fertilisa artificiellement, dans le plus grand secret, avec le tout premier, et unique, embryon de cette race que vous semblez tant admirer.

— C'est donc vous la mère de Marie Madeleine ?

Marie ne jugea pas nécessaire de répondre à cette question. Une larme roula sur sa joue. L'Amiral sentait son appréhension de perdre sa fille, ainsi que d'être séparée de ses petits chérubins...

— Quelle que soit ma décision quant à votre sort, je vous promets que nous ne divulguerons pas leur existence au Conseil Suprême. Nous les laisserons, tous les quatre, ainsi que leur mère, ici sur ce monde qui leur va si bien...

— « Éden », c'est comme cela que nous l'appelons, reprit Marie. J'espère qu'un jour vous comprendrez pourquoi !

Elle s'en alla rejoindre les siens, faisant signe à Jean que l'éclipse de mi-journée allait bientôt arriver. Elle savait pertinemment que les révélations que le Guide allait leur faire dans l'après-midi seraient d'une importance capitale... Il fallait qu'ils se reposent. Jean invita l'Amiral à retourner dans sa tente. Il en fit de même, impatient de revoir en rêve les aventures qu'il venait de vivre !

Homo Sum 3 : l'éveil de l'humanité (Episode 3 : Libération)Where stories live. Discover now