29. Revirement de situation

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— Bleus, appela le leader de la formation... Apprêtez-vous à enclencher vos réacteurs principaux à puissance maximale. Vous maintenez la formation en V, mais pas trop serrée... Ce sera comme lors de ton vol strato Jean. Ne t'en fais pas, il y a bien longtemps de cela pour nous également !

Par chance, la Frégate ne se trouvait pas très loin de là. Leur approche ne nécessiterait pas de longue manœuvre orbitale. Ils se dirigèrent directement vers sa position en appelant la tour de contrôle.

— FXL350, ici les Bleus, demandons priorité pour l'appontage, lança le Chef de patrouille.

— Négatif, Bleus. Nous avons heurté quelque chose. Le circuit est rempli de petites navettes d'inspection... Il faudra attendre quelques minutes.

— FXL350, c'est votre Amiral qui vous parle... Dégagez-moi ces navettes du circuit, immédiatement. Nous exigeons priorité absolue d'atterrissage !

— Euh... mes respects... Amiral... je veux dire Bleus... bien entendu, vous avez priorité ! Nous plaçons les navettes en attente rapprochée, répondit le contrôleur embarrassé.

Le Chef de patrouille posa sa formation avec dextérité sur le pont. Jean par contre, se remettant à peine de sa surprise, n'avait jamais vu une frégate de si près. Son gigantisme l'impressionna tellement qu'il en oublia de sortir sa crosse d'appontage... Son chasseur rebondit sur la piste, passant au-dessus des câbles d'amarrage. Ses trois ailiers le virent les dépasser avec surprise et étonnement.

L'Amiral s'écria :

— Remets les gaz à fond, Jean. Éloigne-toi de la frégate et repositionne-toi pour une nouvelle approche, secteur avant. Nous t'attendrons dans le hangar de maintenance...

Jean ne répondit pas. Il semblait paralysé, comme il le fut déjà à maintes reprises, lorsqu'il s'imaginait subitement flotter dans l'espace. Son cauchemar venait de faire surface des profondeurs de son subconscient. Il lui fallut quelques secondes pour reprendre le contrôle de son engin. Il profita de cette occasion inattendue pour continuer d'admirer l'immense vaisseau de plus près... Tout allait bien. Il n'était pas mort. Son chasseur était en parfait état et ses rêves de jeune cadet se réalisaient enfin : il allait devenir pilote à bord d'un de ces fantastiques vaisseaux qui le firent tant rêver ! Ce fut à contrecœur qu'il n'oublia pas, cette fois-ci, de sortir sa crosse... qui lui permit finalement de s'arrêter sur le pont. Il fut immédiatement amené dans le hangar où l'attendaient les trois autres chasseurs de sa formation. L'Amiral était déjà sortie de son appareil. Elle se laissa flotter vers un gradé qui venait d'arriver. Jean devina qu'il devait s'agir du fameux Second ; mais il ne put comprendre ce qu'ils se disaient...

Ce fut alors qu'un individu, beaucoup plus jeune, vint se placer à côté du Second. L'Amiral le regarda sans parler. Jean n'en croyait pas ses yeux... Dès qu'il fut sorti de son cockpit, il se laissa flotter vers lui en s'écriant :

— Judas... c'est bien toi ! Mais comment est-ce possible ? Je te croyais mort...

— Ton ami n'a effectivement pas survécu à votre évasion, lui annonça l'Amiral d'un ton froid auquel elle ne l'avait pas habitué jusqu'ici. Laisse-moi te présenter l'archange Lucifer !

— Permettez-moi de vous corriger Amiral, répondit l'étrange adolescent en dirigeant son intense regard vers celui de Jean. Celui que tu appelles Judas, et qui m'a si gentiment offert l'hospitalité de son enveloppe charnelle, est toujours présent en moi ! Désires-tu lui parler ?

Jean ne sut que répondre. Il se souvenait pertinemment de sa dernière rencontre avec Judas lorsqu'il descendit vers le réacteur qui abritait l'intelligence artificielle de son vaisseau. Il revoyait son visage apparaissant dans la pénombre, ses yeux qui le fixaient, si intensément, ainsi que ce message qu'il tenait dans sa main. Il comprenait enfin pourquoi il ne l'avait pas retrouvé lorsqu'il voulut faire part de sa découverte à ses compagnons !

Ses pensées voguèrent ensuite beaucoup plus loin dans le temps : lors de leur évasion mouvementée, lorsqu'il décida d'enclencher la pleine puissance sur leurs réacteurs, signant ainsi l'arrêt de mort de son ami. Il se souvint de l'étrange secousse qui ébranla le vaisseau, quelques instants auparavant... Ce choc ne pouvait avoir été provoqué que par l'arrivée de Lucifer à bord du TXL1138 ! Celui-ci avait besoin d'un corps afin de les accompagner durant leur long voyage. Judas était donc le choix idéal !

— Oui, répondit-il après un bref instant d'hésitation... Je voudrais lui parler !

Les yeux de l'adolescent perdirent leur éclat flamboyant. Sa stature devint moins hautaine, et un rictus de chagrin et de douleur transforma son visage. Sa voix changea de tonalité. Il se mit à pleurer en disant :

— Jean... Pourquoi m'as-tu abandonné ? Pourquoi ne m'as-tu pas attendu ? demanda la voix chevrotante de Judas.

Jean s'accroupit en face de son camarade d'évasion, tentant de le prendre dans ses bras... Ce fut alors que Lucifer reprit le contrôle du corps de Judas en se redressant. Il se mit lentement à flotter au-dessus de son ancien compagnon, devenu adulte. Son regard rougeoyant le fixait avec arrogance. Il s'adressa à lui d'un ton hautain et dédaigneux :

— Tu as de la chance... Si je n'avais pas été là, ton ami aurait succombé dans d'atroces souffrances ! Il aurait mis des journées entières à être rongé par les radiations mortelles, que tu avais toi-même déclenchées, incapable de vous rejoindre ! Il me doit la vie... Grâce à moi, tu n'auras plus à porter le lourd fardeau de sa mort sur ta conscience.

L'Amiral prit alors la parole :

— Merci, cher Lucifer, de nous avoir ouvert les yeux à propos de la vraie nature de ce traitre ! Il a non seulement trahis la Fédération, mais également les siens... Il ne reculerait devant rien pour arriver à ses fins.

— Je n'accomplis que ma mission, Amiral, répondit l'étrange adolescent avec fierté. Je suis « celui qui vous apporte la lumière ».

— Mais Amiral ! s'écria désespérément Jean...

— Combien de tes camarades cadets as-tu sacrifié pour t'emparer du contrôle de ton vaisseau ? interrompit Lucifer d'un ton sévère.

Jean n'eut plus, ni le courage, ni l'envie, de répondre à cette question pertinente. Il baissa la tête, en signe de résignation...

— Commandant, ordonna l'Amiral d'un ton ferme et autoritaire, ne laissant plus aucun doute quant à ses intentions... Appelez la garde mettez ce dangereux énergumène au cachot ! Que plus personne n'entre en contact avec lui. Son pouvoir de persuasion est presque aussi grand que celui de notre nouvel hôte... Il a bien failli me convaincre de me joindre à sa cause !

Elle se retourna vers l'adolescent, resplendissant de satisfaction :

— Nous allons vous aménager une cabine afin que vous puissiez vous y reposer. Je veillerai personnellement à ce que votre séjour à notre bord se déroule dans des conditions plus agréables que celles que vous avez endurées jusqu'à présent.

— Je vous remercie Amiral, répondit Lucifer le sourire aux lèvres. Je vais vous laisser continuer votre mission à votre aise. J'ai attendu cet instant assez longtemps... Quelques heures de plus ou de moins ne viendront pas changer grand-chose !

Homo Sum 3 : l'éveil de l'humanité (Episode 3 : Libération)Where stories live. Discover now