36. Le Paradoxe Temporel

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Le lendemain matin l'Amiral se rendit, sans plus attendre, dans la cabine du professeur. Elle désirait être mise au courant de l'évolution de ses travaux, avant d'en parler au reste de l'équipage. Elle lui expliqua, dans les grandes lignes, quelles seraient les missions des deux équipes qui venaient d'être créées... pour finalement aborder le véritable sujet de sa visite :

— Alors professeur, il semble que vous ayez de bonnes nouvelles à m'annoncer... Expliquez-moi comment vous allez nous faire exécuter un saut, dans le passé cette fois-ci, sans risquer de provoquer un de vos terribles paradoxes temporels ?

— Je dois vous avouer Amiral que, si je n'avais pas été persuadé par Max, je n'aurais jamais eu l'audace de vous en parler... Mais sa théorie me semble assez intéressante pour que je puisse me permettre de vous la proposer. Un tel paradoxe ne risque de se produire que si les individus concernés interagissent au sein d'un même espace-temps. Dans notre cas, bien que nous nous trouverons dans une même période, nous serons à ce point éloignés de nos « sosies temporels » qu'aucune interaction ne sera possible... Ils seront en route vers Alpha, alors que nous aurons rejoint notre système solaire ! Je propose donc d'effectuer un saut qui nous ramènera vers l'instant de notre départ ! Il y aura plusieurs avantages à cela...
Tout d'abord l'effet de surprise, qui ne sera pas à négliger. La Fédération ne s'attendra certainement pas à nous voir revenir si tôt. Et cela nous permettra d'agir au plus vite ; car, comme vous le savez pertinemment bien, le temps constitue le facteur principal de notre mission...
Nous avons également terminé de modifier les trois, et bientôt quatre, chasseurs ainsi que la navette de l'Escadrille Spatio-Temporelle. Tous ces engins seront enfin parfaitement capables de se déplacer de façon totalement autonome, dans l'espace-temps, sans plus avoir besoin de mon aide. L'équipe du Dragon Bleu en aura grandement besoin pour s'introduire à l'intérieur de la magnétosphère terrestre, sans se faire repérer !

— Très bien professeur. Mais revenons-en à notre paradoxe... Comment sera-t-il possible de nous retrouver avec deux versions de nous-mêmes au même instant ?

— Parce qu'il s'agira précisément de deux versions différentes Amiral. Celle qui entamera son voyage vers Éden sera, comme vous vous en doutez, trente ans plus jeune que la nôtre ! Il faut que vous compreniez que le temps n'est qu'une illusion, au sein de notre troisième dimension...
Je vais vous illustrer cela à l'aide de ces bobines de pellicules qui servaient de support aux tous premiers films qui furent visionnés, sur de grands écrans blancs, au début du vingtième siècle. Lorsque la bobine tournait, les images passaient devant une lampe qui les projetait sur l'écran ; et ce processus donnait l'impression aux spectateurs d'assister à une histoire, avec un début et une fin...
Mais ces différentes séquences qui se succédaient n'étaient qu'une illusion. Il n'y avait rien sur l'écran ! Les spectateurs n'avaient que « l'impression » de vivre le scénario qui se déroulait devant eux. La réalité était imprimée sur la petite bobine qui contenait, à la fois, les images du début, du milieu et de la fin du film. Ces images existaient toutes, en même temps... hors du temps !
Prenez le film de votre vie. Arrêtez de le projeter sur l'écran de vos illusions et étalez la bobine par terre, comme cela est possible dans la quatrième dimension. Les images du début de la pellicule vous montrent sortant du ventre de votre mère. Dirigez-vous le long de cette bobine, vers son milieu. Coupez-la à cet endroit précis et ramenez la partie de la bande que vous avez encore devant vous en arrière. Superposez-la alors à l'époque où vous aviez, par exemple, vingt ans...
Lorsque vous retournerez dans l'illusion de la troisième dimension, c'est-à-dire que vous recommencerez à projeter ces deux pellicules superposées, il y aura sur l'écran deux versions de vous-même : une de vingt, et une d'environ cinquante ans ! Et cela est tout à fait possible, car la réalité n'est pas ce que l'on croit voir sur l'écran, mais bien ce qui se trouve sur la bobine... tout y existe en même temps, le début, le milieu ainsi que la fin de votre vie ! Vous venez simplement de donner un nouveau scénario à l'histoire qui se projette sur l'écran...
La seule chose que nous devrons absolument éviter sera que ces deux versions de nous-mêmes interagissent entre elles. La question sera, dès lors, de savoir ce qu'il se passera une trentaine d'années après notre retour dans la Fédération, lorsque notre frégate arrivera à nouveau au point où nous sommes actuellement...
Reviendra-t-elle à nouveau dans le passé ? Ou comme j'aurais plutôt tendance à le croire : disparaîtra-t-elle tout simplement de l'espace-temps, c'est-à-dire de l'écran, comme dans ma théorie de la bobine de film ? Je suis persuadé que, lorsque les deux bobines ne deviendront à nouveau plus qu'une, ceux qui s'apprêteront à effectuer notre saut disparaîtront purement et simplement de la réalité.

— OK, OK professeur, répondit l'Amiral exaspérée. Comme d'habitude vos explications sèment encore plus de confusion que de clarté dans mon esprit... Tâchez d'être plus didactique, lorsque vous vous adresserez à mon équipage, d'ici quelques minutes. Et en ce qui concerne ce qu'il se passera d'ici une trentaine d'années... nous aurons amplement le temps d'y penser lorsque notre mission sera accomplie !

Quelques minutes plus tard, l'équipage se trouva réuni, en compagnie de leurs nouveaux passagers, dans la salle de briefing, débordante de monde. L'Amiral annonça sa décision de s'allier aux insurgés, tout en expliquant ses raisons... qui parurent évidentes !

Elle choisit également de laisser Marie, sa fille, ainsi que les enfants, sur Éden. Ces derniers s'y rendraient à bord d'une navette qui resterait sur place avec un petit groupe de volontaires chargé de les protéger et de les aider à survivre sur cette lune au climat incertain.

Elle se lança alors dans l'explication des missions des deux équipes qu'elle avait formées la veille avec Jean... Pour terminer son allocution en cédant la parole au professeur afin qu'il explique, en détail, le saut temporel qu'ils allaient bientôt effectuer à bord de la frégate. Elle espérait enfin arriver à comprendre ce qu'il allait leur dire.

Jean était assis aux côtés de Marie Madeleine, lui tenant la main. Il n'écoutait que vaguement ce long discours. Ses pensées l'emmenaient ailleurs...

Homo Sum 3 : l'éveil de l'humanité (Episode 3 : Libération)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant