6/ Savoir profiter des petites choses

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Allegra lui serre la main, plus pour respecter l'usage que par envie, mais ne donne pas son nom. Ça ne semble pas intéresser autre mesure son interlocuteur puisqu'il ne relève pas. Il regarde beaucoup autour d'eux, comme s'il cherchait quelqu'un. À moins qu'il ne cherche à savoir si les passants pressés les ont remarqués...

Un pervers ? Cazzo ! C'est bien sa veine ! Mais s'il croit qu'elle va se laisser faire, il se fiche le doigt dans l'œil jusqu'au coude ! Même s'il est sexy, elle n'est pas une fille aussi facile ! Et Sally lui a appris deux ou trois petites choses fort utiles pour ce genre de situation.

Alors qu'elle fourre discrètement sa main dans son sac à la recherche d'une arme potentielle, en mode « Mary Poppins entend ma prière, cette fois ! », il la prend soudain par les épaules pour se rapprocher d'elle.

— Écoutez-moi. Nous ne nous connaissons pas, mais j'ai besoin que vous me rendiez un service. Un immense service. Jouez le jeu, s'il vous plait, dit-il d'une voix grave en s'emparant de son chapeau de pluie pour le mettre sur sa propre tête, avant de l'attirer encore plus près et de l'embrasser. L'une de ses mains en appuie sur le mur derrière elle, il la bascule légèrement. De cette manière, on ne le voit presque pas.

Sur l'instant, Allegra ne réagit pas. Elle est si stupéfaite par l'audace de ce type ! Et puis, son esprit lui envoie des signaux clairs. Quelque chose cloche. Il ne fait pas ça parce qu'il en a envie, mais par nécessité. Son baiser est tout ce qu'il y a de plus chaste et fade. Elle se croirait dans une de ces comédies romantiques coréennes - qu'elle adore par ailleurs regarder - où les lèvres se posent juste les unes contre les autres sans rien chercher de plus intime.

C'est alors qu'Allegra entend plus qu'elle ne voit un groupe d'hommes qui courent sous la pluie. Elle comprend quelques bribes de ce qu'ils disent. Ils cherchent quelqu'un. Un homme. Seul. Un type en noir. Pas un amant en bras de chemise avec un chapeau de pluie ridicule en train d'embrasser sa copine sur un pas de porte en pleine rue.

Allegra comprend aussitôt le stratagème. Alors, c'est ça ?! Elle est une diversion ! Bien. Très bien. Alors autant en profiter ! Fidèle à son credo de jouir de l'instant - le verre à moitié plein, hein ! -, elle se détend, enlace à son tour le jeune homme et se met à l'embrasser avec beaucoup plus de sensualité que nécessaire. Elle sent le corps de ce Matthew Fox se raidir contre le sien. Il ne s'attendait pas à ça et s'en trouve gêné, mais il ne peut rien faire tant que le groupe d'hommes est encore dans les parages.

Lorsqu'enfin, ils disparaissent, le jeune homme s'écarte brusquement d'Allegra qui sourit jusqu'au oreille. Il est légèrement contrarié parce qu'il est évident qu'elle a compris la situation et qu'elle en a profité.

— Hum. Bon et bien merci, dit-il en lui rendant son chapeau et en remettant sa veste promptement.

Il semble gêné. « Tel est pris qui croyait prendre » pense Allegra, amusée de la réaction du jeune homme.

— Vous me quittez déjà... après une telle entrée en matière ? minaude-t-elle en en rajoutant exprès.

— Vous... commence-t-il en la pointant du doigt.

Mais il a conscience qu'il n'a pas le temps de se disputer avec elle, ni même de discuter. Les hommes qui le cherchent peuvent revenir, et cette fois, il sera plus difficile de leur échapper. Il remonte le col de sa veste en murmurant un « vous ne perdez rien pour attendre ! » avant de s'élancer sous la pluie.

S'il y a bien une chose dont Allegra est sûre, c'est qu'elle ne craint rien de cet homme qui ne connait pas son nom et qu'elle ne reverra jamais. Elle est tranquille.

L'avenir lui prouvera que non.

Parce que si Matthew Fox, alias Dieter Wolf, a déjà des ennuis, elle ne va pas tarder à en avoir aussi.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant