62/ Pas si loin finalement

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Robert Martins est un gaillard élevé dans la montagne. Certains disent même élevé par la montagne. Un dur au regard d'orage, au nez cassé. Ancien talonneur de l'équipe de rugby locale, il boite un peu à cause d'une blessure ancienne dont il ne parle jamais. Il marche cependant comme s'il avait le monde à affronter. Une allure de guerrier bourru et taiseux. Quand il est dans les parages, les enfants cessent de sourire, voire se mettent à pleurer. Un guerrier terrifiant à plus d'un titre pour eux comme pour leurs parents. Il ne viendrait à personne de lui chercher querelle.

Ses amis se foutent de lui à cause de son air de troll. Lui se fout d'eux et de leurs remarques. Il ne change pas. Il est comme l'a fait sa mère. Il assume et vit sa vie. Il est libre. Et seul. Lui aussi.

Mais Robert Martins, qui se préoccupe rarement d'autre chose que de ses bêtes, observe parfois Allegra avec un regard qu'elle trouve étrange.

Au début, elle pensait que c'était la curiosité, l'attrait de la nouveauté.

Puis, elle s'était simplement dit qu'il la détestait parce qu'elle n'était pas d'ici et qu'elle s'était appropriée une maison, des terres et même quelques bêtes.

Mais, elle a balayé tout ça, un soir à la fin du printemps.

Elle s'était d'abord laissée surprendre par la pluie alors qu'elle se promenait seule sur les hauteurs - Hunta n'était pas encore entré dans sa vie –. Ensuite, elle s'était laissée surprendre par la force de cet homme qui l'avait ramenée chez elle avant de la prendre sans retenue sur la table de sa cuisine.

Ça s'était fait comme ça. Elle n'avait rien demandé, mais avait consenti sans se poser de question. Grâce à cet échange corporel très musclé, elle a enfin compris que le regard de Robert Martins posé sur elle est simplement affamé. Il la désire.

Il ne peuple pas ses nuits, ni ses rêves. Il est là. C'est tout. De temps à autre, il gare sa voiture près de la sienne devant la maison, entre et passe la nuit avec elle. Il ne lui pose pas de question, et elle ne lui demande rien. Pas de discours creux teinté de sentimentalisme mièvre. Pas de préliminaires affectifs. Il n'y a rien de tendre entre eux. Juste deux solitudes qui se réconfortent sans jamais s'accorder tout à fait. Deux corps qui jouissent et se séparent.

Rob, donc.

D'ailleurs, si la soirée se maintient aussi calme et radieuse, il viendra sans doute. Elle va se doucher, parce que s'il ne lui fait aucune remarque, elle a noté qu'il est plus caressant quand son corps est propre. Elle le soupçonne d'aimer le parfum de fleur d'oranger de sa gamme de produit de toilette. Cela l'amuse.

Allegra se lève en souriant et ôte ses bottes crottées devant la porte. Mais au moment où elle va entrer, un éclat de lumière vient chatouiller sa rétine de manière inopinée. Elle regarde dans la direction de ce singulier rayon et le voit disparaître brusquement sur l'un des versants de la montagne. Elle reste un long moment à fixer la pente verdoyante pour mémoriser l'emplacement exact de ce qui vient de se produire. Elle décide d'aller vérifier demain qu'il n'y a pas quelques désagréables campeurs qui auraient laissé des déchets. Elle déteste tomber sur des détritus quand elle se promène.

Vivre ici lui a donné une âme d'écolo qu'elle ne se connaissait pas.

Elle est rentrée.

La silhouette qui se dissimulait à l'orée des arbres qui bordent le sentier menant à la route, disparaît tout à fait. Il peut aller faire son rapport. La traductrice reste fidèle à ses habitudes. Rien ne change. Sauf la présence du chien. Depuis qu'elle l'a, impossible de s'approcher plus près sans éveiller ses soupçons.

Il s'occupera de lui en temps voulu. Chacun aura ce qu'il mérite.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant