47/ Saut de l'ange et peur bleue

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Happé par le vide, Allegra écarquille les yeux de terreur. Il est dingue ! Ils sont au moins à dix milliards de mètres de la mer ! Sans compter qu'elle ne sait pas nager ! Elle ne sait pas nager !!!!! Bordel de merde !!!!

L'esprit d'Allegra part en vrille. L'affolement crée un blocage. Elle gesticule. Happée, giflée par l'air, elle s'entend hurler. Elle entend aussi vaguement deux détonations. Elle se voit mourir. La chute ne dure que quelques secondes, et au dernier moment, au dernier moment, quand l'océan est une masse floue et bleue qui va l'avaler à jamais, elle prend conscience de ce que lui hurle Tanetoa. Elle se contracte, s'affine, se fige.

Son corps fend l'eau et s'enfonce dans le lagon. Une fois totalement submergée, elle panique. L'air lui manque, elle ne sait pas comment remonter. Des gestes instinctifs lui viennent, mais ça ne suffit pas. Il faut le bras d'un autre pour la ramener à la surface.

— C'est bon, mademoiselle. Tout va bien. Respirez. Respirez profondément.

Allegra obéit. Crache de l'eau. Tousse. Respire. Le courant la ballotte, mais les bras du tahitien la maintiennent à la surface. Elle se laisse porter. Elle voit vaguement la silhouette de la tueuse qui les vise de son arme, puis se ravise. Ensuite elle disparaît. Elle va redescendre. C'est sûr !


— Vous êtes un vendu !

— Je viens de vous sauver la vie, quand même !

— Après l'avoir mise en danger ! Je vous faisais confiance !

— J'ai été trompé aussi ! Je m'en veux suffisamment ! C'est bon ! Elle m'a dit qu'elle voulait vous faire une surprise !

— Tu parles d'une surprise !

— Vous lui avez vraiment piqué son mec et taché sa robe ? demande Tanetoa avec un petit air amusé.

— Oui ! Enfin, c'est plus compliqué que ça !

— J'imagine ! Parce que si les nanas en viennent à s'entretuer pour ça, il va y avoir hécatombe !

— Marrez-vous ! C'est vous qu'elle va tuer, maintenant.

— Pas si je m'occupe d'elle avant.

Ces paroles font écho à d'autres paroles prononcées sur le même ton et avec la même détermination. Des paroles qui se sont révélées vaines.

— Elle est trop forte pour vous.

— C'est ce qu'on verra, dit Tanetoa en arrêtant son moteur.

Ils sont arrivés à l'appontement le plus proche de l'aéroport. Le tahitien a compris que la française doit repartir au plus vite. Mais pas dans cet état.

Une fois dans sa voiture garé sur le parking qui mène aux appontements, il se penche et attrape un petit sac de sport vert fluo recouvert de fleurs de Tiare bleues, posé sur la banquette arrière.

— Changez-vous. Vous ne monterez pas dans un avion avec cette allure. Pas sans avoir alarmé les autorités. Et je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ça n'est pas dans vos intentions.

— Sans blague ! Ça vaudrait mieux pour nous ! Parce que si je raconte mon histoire, ça risque de chauffer pour votre matricule !

— Et pour le vôtre. Parce qu'on ne se retrouve pas avec une tueuse au cul pour une robe et un mec, hein ! Tenez pour vous changer. Quand vous aurez fini, mettez vos affaires dans le sac de sport. Cadeau de la maison. Ah ! Et je précise que les affaires sont propres... au cas où vous auriez un doute...

Allegra lui arrache le sac des mains et se faufile à l'arrière pour se changer.


Le bermuda à fleur est trop grand, même en tirant au maximum le cordon de la ceinture. Le tee-shirt jaune avec son slogan touristique passé, est froissé. Les tongs décolorées ont au moins une à deux pointures de trop. Seul point positif, elle s'est épilée les guibolles la veille ! Autrement, ça aurait été carrément la honte !

Cependant, même si Allegra a réussi à discipliner ses cheveux avec un élastique, on voit bien qu'elle n'est pas au mieux de sa forme. On pourrait tout juste la prendre pour une surfeuse débutante, fatiguée de sa journée à se faire brasser par des vagues trop puissantes. Elle n'a pas fière allure, quoi ! Sans compter qu'elle tient fermement le sac à de sport comme si sa vie en dépendait. Ce qui est un peu vrai, puisqu'elle y a mis tout ce qu'elle portait, y compris son sac à dos. Le tahitien se demande si finalement, avec ses vêtements d'origine trempés, elle ne serait pas passée plus inaperçue qu'avec son nouveau look ? Bon, c'est trop tard maintenant.


Tanetoa la trouve trop calme, comme détachée de la réalité. Il s'attend à une réaction incohérente d'une minute à l'autre, mais rien ne vient. Le tahitien sait qu'elle est encore sous l'emprise de l'adrénaline dû au saut forcé. Mais bientôt, le traumatisme reprendra ses droits. Et il préfère ne pas être là à ce moment-là !

Il s'empresse de la laisser dans le hall de l'aéroport et s'arrange pour bien passer devant toutes les caméras de sécurité. Il espère que la jeune femme sera bientôt dans un avion pour une destination lointaine. Il espère aussi que la chinoise la suivra et ne restera pas sur l'île.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant