10/ Équation à deux inconnues

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— Alors ?

— Je ne crois pas avoir à vous expliquer quoi que ce soit, M. Fox.

— Très bien, Mademoiselle-dont-je-ne-connais-pas-le-nom-mais-qui-connait-le-mien-et-qui-se-permet-de-parler-de-moi-mais-ne-m'autorise-pas-à-la-questionner, dit-il d'une traite en s'asseyant en face d'elle.

Puis avec un air pénétré, il continue.

— Je ne crois rien avoir oublié... Ah ! Si ! Le baiser volé, finit-il avec un regard matois et un sourire qui l'est encore plus.

— Baiser volé ! Comme vous y allez ! C'est vous qui m'avez embrassée !

— Je ne vous embrassais pas. J'ai juste collé ma bouche à la vôtre, comme j'aurais pu y coller ma joue. C'était une mise en scène, et vous le saviez.

— Pas du tout.

— Ah ! Pas du tout ?! Donc, la question suivante est : ça vous arrive souvent d'embrasser langoureusement les inconnus dans la rue, vilaine fille ?

— Je n'ai pas embrassé un inconnu. Je connaissais votre nom.

— Mais je ne connais toujours pas le vôtre. Il reste donc une inconnue.

— L'équation n'est donc pas irréalisable, rétorque-t-elle en s'adossant à sa chaise, les bras croisés sur sa poitrine.

Il a bien trouvé où elle travaillait. Il peut se creuser pour le reste aussi !

Il plisse les yeux comme s'il était en train de chercher à résoudre cette fameuse équation.

Croyant lui avoir cloué le bec, et parce qu'elle est curieuse, Allegra en profite pour orienter la conversation sur autre chose.

— Les types, c'était qui ?

— Je ne vois pas de qui vous parlez.

— Bien sûr. Vous ne savez pas. Mais il vous a fallu m'embrasser pour vous en débarrasser.

— Temporairement. Ils ne sont pas si stupides.

— Est-ce que vous êtes en train de dire qu'ils sont repassés par la rue où nous...

— Nous nous sommes embrassés. Oui. L'un d'eux a eu un doute nous concernant. Ça ne venait pas de vous, rassurez-vous ! Votre jeu d'actrice était particulièrement convainquant.

— Vous êtes en train de dire que des types dangereux auraient pu me tomber dessus si j'étais restée sur le pas de porte !!! s'exclame-t-elle en se levant brusquement. Non seulement j'ai été virée à cause de vous, mais en plus j'aurais pu... j'aurais pu...

— Le prix pour le baiser volé, je suppose.

— Vous ! Vous êtes... commence-t-elle en s'appuyant bruyamment sur la table pour le fusiller du regard.

Il sourit et approche brusquement son visage du sien.

— Un autre baiser ?

Allegra se recule aussi vivement et reprend contenance en remarquant les regards posés sur eux. Elle attrape son sac et sort. Et bien sûr, il la suit.

— Vous fuyez la bataille ?

— Nous ne sommes pas en guerre et discuter avec vous n'a aucun intérêt. Je me demande bien pourquoi vous êtes là !

— Mais parce que vous avez titillé ma curiosité.

— Titillé votre curiosité ? Je crois que nous allons nous arrêter-là.

— Mais pourquoi ? Je suis extrêmement déçu. La journée avait si bien commencé ?!

— Pour vous peut-être, mais pas pour moi. Sans compter que j'ai autre chose à faire que « titiller la curiosité » d'un malotru, dit-elle d'un ton sec en se mêlant à la foule qui forme un flot humain sur le trottoir.

Allegra ne sait pas pourquoi elle repousse avec autant de force les avances évidentes de ce type. Il n'a pas l'air bien méchant. Il est beau, et il sent bon – elle s'est approchée suffisamment près pour le déterminer-. Et on ne dit jamais assez l'importance de l'odeur dans les rapports humains. Il est déjà arrivé à Allegra de suivre à la trace un type dans un magasin parce qu'il portait un parfum masculin dont elle est folle. Ça ne s'était pas conclu par une rencontre romantique – il était vraiment trop moche, et surtout, accompagné – mais à ce stade, ça donne la portée que peut revêtir la chose pour la jeune femme.

Face à Matthew Fox, quelque chose la retient. Elle ne saurait encore dire quoi. Son arrogance ? Sa détermination ? L'énigme quant au fait qu'il ait su où la trouver ? Son regard un peu trop intense pour ne rien cacher ? L'ensemble pue le danger. Or, les types dangereux, ça n'est pas trop son truc. Finalement, Allegra est plutôt plan-plan question cœur et question cul. De la drague simple. Gentille. Pas agressive, ni spectaculaire.

C'est à ce moment du récit que l'on se rend compte que la problème d'Allegra Muller concernant ses histoires d'amour, est majoritairement causé par un manque de passion évident, voire même une absence de profondeur dans les sentiments. Allegra Muller n'a jamais été réellement amoureuse. Elle s'est laissée portée par le vent.


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant