49/ Seule, abandonnée

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Allegra a le regard fixe et la mine déconfite. Évidemment ! Évidemment, Cazzo ! Elle comprend mieux les coups d'œil surpris et amusés. La porte de l'avion s'est ouverte sur un déluge d'eau qui se déverse sur la piste avec force. Les passagers se précipitent vers le bus. C'est l'hiver, ici ! Un être humain normalement constitué ne se risquerait pas à l'extérieur sans avoir revêtu au moins une à deux couches de matériaux isolants.

Le regard d'Allegra se détache de la cataracte et se pose sur ses tongs défraîchies. Ses pieds d'une propreté douteuse. Le vernis de ses ongles écaillés. Son bermuda et son tee-shirt. Elle a déjà la chair de poule. Un long frisson achève de la démoraliser. Bordel de merde ! Elle en a marre !

— Vous n'êtes pas équipée.

La voix est posée. Elle ne juge pas. Elle énonce une simple constatation. La femme qui l'a prononcée est grande, d'âge mûr. Le gris de ses cheveux s'affirme dans une coupe courte et soignée. Elle porte l'uniforme de la compagnie avec classe. Une hôtesse qui a de la bouteille.

— J'avais espéré que votre sac contienne au moins une veste.

La tête d'Allegra se secoue en dénégation. Elle est un peu honteuse.

— Rien n'est perdu, dit l'hotesse en retournant dans la partie réservée au personnel de navigation.

Lorsqu'elle revient, elle tient un coupe-vent noir avec un énorme logo de l'aéroport dans le dos.

— C'est tout ce que je peux vous proposer.

— Merci ! Merci beaucoup ! s'exclame Allegra en prenant le vêtement comme s'il s'était agi d'un bien précieux. Même s'il lui arrive presque au genou, c'est mieux que rien.

L'hôtesse ne s'attarde pas. Elle a à faire et disparait pour de bon cette fois. L'avion s'est vidé. Allegra n'a plus le choix. Elle soupire, serre plus fort son sac ridicule et affronte donc l'hiver pluvieux de Nouvelle-Zélande avec entêtement.

Le liquide qui lui reste est échangé juste avant de prendre le bus pour rejoindre le centre. Une chambre l'attend dans un hôtel dont elle a trouvé les coordonnées sur un magazine pendant qu'elle était dans l'avion.



Elle a l'impression qu'elle ne pourra jamais se réchauffer, ni se sécher. Comment en est-elle arrivée là en si peu de temps ? La rencontre avec Matthew datait de quand ? Sept jours, dix, tout au plus ! Il ne faut pas grand-chose pour détruire une vie... un baiser volé a suffi en ce qui la concerne.

Elle ferme les yeux. Bien qu'elle ait somnolé dans l'avion, elle est encore si épuisée qu'elle pourrait dormir comme ça, assise sur ce bout de lit parfait, à la courtepointe immaculée parsemée de semis de petites fleurs. Elle caresse le tissu, voit sa main sale, la retire, honteuse.

Bon ! Quelle que soit la situation catastrophique dans laquelle elle se trouve, elle doit et peut agir. Tout n'est pas perdu ! Pas pour Allegra Muller ! Cazzo ! D'abord, une douche longue et réparatrice s'impose. Ensuite, il sera bien temps de s'occuper de son short à fleurs tahitiennes, de son tee-shirt jaune hideux, de ses vieilles tongs, de son sac ridicule, et des milliards de questions qui tourbillonnement dans son petit crane de française coincée en Nouvelle-Zélande sans argent et sans bagage, sa valise volant en ce moment même dans le ciel américain en direction de Paris.

Allegra se lève et se dirige vers la salle de bain de la chambre d'hôtel, petite, mais parfaitement proportionnée pour que l'on s'y sente bien et en sécurité, selon ses propres critères. Parce qu'elle a des critères. Elle vit une grande histoire d'amour avec ce genre de lieux normalement anonyme et sans personnalité. Elle a beaucoup voyagé et entend voyager encore souvent. Enfin, si elle parvient à rester en vie. Ce qui lui paraît hautement improbable depuis les derniers jours.

Mais enfin, à quoi avait-elle pensé ? Dès le départ, le jeu était faussé, et elle n'était définitivement pas équipée pour le finir en un seul morceau. Pourquoi n'a-t-elle pas alerté les autorités ? L'ambassade ? L'armée ? Que sais-je ?

Excellente question. Merci de l'avoir posée. Procédons à un récapitulatif des éléments en possession de la pauvre quiche qui n'a rien fait comme il fallait.

Un : On n'embrasse définitivement pas un inconnu dans la rue, aussi beau et tentant soit-il. Même pour s'amuser.

Deux : On ne se fie pas à un inconnu massacreur de veste Dolce, organisé à l'excès qui déteste le sucre.

Trois : On ne succombe pas aux charmes d'un ténébreux personnage dont le nom de code est « Shade » - non mais, quel cliché !? - sans avoir un minimum d'info sur lui, sa famille proche, ses ancêtres (remonter sur dix générations, si possible, pour être sûre) et son patrimoine financier et immobilier.

Quatre : On ne se laisse pas amadouer pour parer d'hypothétiques menaces

Cinq : On cherche par tous les moyens à renouer un contact immédiat avec sa meilleure amie

Six : On ne fait pas confiance à une organisation, aussi internationale soit-elle, dirigée par un Smith. Depuis Matrix, tout le monde se méfie des Smith ! Pourquoi pas elle ?!

Sept : On alerte une autorité connue et reconnue, quelle qu'elle soit, quand le danger rode. Ça c'est une vérité si évidente qu'elle ne devrait même pas avoir à l'énoncer.

Résultat ? Elle va faire ce qu'elle doit faire maintenant qu'elle est en sécurité. C'est-à-dire ? Chercher l'ambassade de France et expliquer son problème au plus vite. Il lui faut de l'aide. Elle ne doute pas une seule seconde que le personnel compétent de ce genre d'institution saura quoi faire.

Instinctivement, elle prend son téléphone pour appeler Sally, avant de se souvenir qu'il ne lui sera d'aucune utilité. Arghhh... Bon, alors dodo !


Les tribulations d'Allegra MullerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant