Chapitre deux : Joanne

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Treize ans plus tôt

    On est le 28 décembre. Jour noir. Jour de deuil. Jour de crise. Jour sombre. Ma grand-mère va être enterrée. Elle est morte de vieillesse. Je me dis que c'est normal. C'est le cycle de la vie. Je m'habille. C'est ce que je suis censé faire non ? Mettre un costume noir, une chemise noir, une cravate noir. Brosser mes cheveux. Enfiler mes chaussures fraîchement cirées.

    Quelqu'un frappe à ma porte. Abby. Je reconnais ses coups de poing légers et délicats. Je grogne. Elle ouvre la porte. Ses yeux sont cernés de rouge, ses lèvres pincées, elle aussi ne veut pas y aller. Elle était proche de notre grand-mère. Elle redoutait ce jour. On le redoute tous. On sait comment va devenir mon grand-père. Il va se transformer en tyran. Le monstre caché en lui quand ma grand-mère tournait le dos va refaire surface.

- Papa et maman nous attendent dans la voiture.


    Il reste deux heures avant le décollage. On habite New York, l'enterrement est à Chicago. On est censé retrouver Nate, Peter et Kate pour partir. Ils seront à l'heure, présents. Je regarde ma montre. Deux heures. Je ne vais pas rester deux heures dans un avion à voir mon père jouer le mec viril, ma mère le consoler discrètement, ma sœur pleurer et mon frère sur son portable. Alors tout ce que je trouve à répondre c'est :

- Je vais faire une course, je vous retrouve à l'aérodrome.

- Jo'...

- T'inquiète, j'y serai.

- Tu n'y seras pas.


    Elle le dit comme une certitude. Elle a raison. Je ne veux pas y aller à cet enterrement. Je ne veux pas voir les membres de ma famille. Je ne veux pas voir mon grand-père. Je ne veux pas entendre ce qui m'attend pour mon futur, ni les sermons et l'hypocrisie qui sort des bouches pour aduler le vieux de la famille.

    Abby s'en va, elle ferme la porte délicatement comme si elle ne voulait pas déranger le souvenir de ma grand-mère.

    Je n'irai pas à son enterrement. Elle a raison. Je sais qu'ils partiront sans moi. Ma mère comprendra. Tout ce qu'elle veut dans la vie, c'est nous protéger. Si son amour suffisait, on serait des guerriers.

    J'attends que la voiture démarre. Noël est passé et maintenant, on attend patiemment le nouvel an. Nouvelle année, nouvelles ambitions mais même famille, mêmes obligations, même vie.

    Je balance mes chaussures à travers la chambre. J'enlève mon costume, le laissant traîner au sol et enfile un jean et un sweat. Je passe la main dans mes cheveux, les ébouriffant au passage. Je déteste porter ces fringues. On devrait bannir les costumes.

    J'attrape mon portable et mon porte-monnaie qui traînent sur le bureau. Ce soir, on aurait dû aller à un gala de charité, faire bonne figure, être bien habillé et donner quelques milliers de dollars pour soi-disant permettre à des filles d'aller à l'école. Je ne crois qu'en une seule œuvre caritative. Celle de ma mère. Je sais avec qui elle travaille. Je sais ce qu'elle fait de l'argent et je lui fais confiance.

    Je finis de passer mon manteau en cachemire et m'avance. D'habitude, je traîne avec Constantin et Noah. L'un est dans sa famille, l'autre est en vacances en train de se baigner et sans doute d'accumuler les filles comme les boutons de manchettes.

    Alors je rentre dans un restaurant. Le genre de que je ne côtoie jamais. Les diners américain. Il n'y a pas grand monde. Les New Yorkais doivent encore être avec leurs familles pour finir de fêter Noël. Il n'y a que quelques clients, des vieux, des couples qui donnent envie de vomir et des ados qui ne ratent pas mon entrée. Je n'ai que seize ans et surement le plus vieux puceau de New York mais merde, laissez-moi tranquil ! Je ne suis pas qu'un mec, une bite ambulante ou un trophée à mettre à sa collection.

[L.4] LOVE & THEATEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant