[L.4] LOVE & THEATER

Chapitre quatre : Maya

Je continue de faire tourner l'anneau entre mes doigts. Je le passe au bout de mon annulaire droit et je le fais tourner. L'inscription va finir par s'imprimer dans ma peau. Pourquoi il fait ça ? Pourquoi il a divorcé ? Pourquoi il s'est marié ? Pourquoi j'ai accepté ?

    Je regarde autour de moi mais les habitants de l'immeuble passent dans le hall comme si je n'existais pas. Je n'ai pas envie que l'on me voit. Qu'est-ce qu'ils penseraient ? Elle est trop grosse, trop maigre, trop blanche, les cheveux trop noirs. Sa robe ne lui va pas, le rouge ne lui va pas. Elle aurait dû mettre une robe noire, au moins on ne verrait pas les formes de son corps.

    Finalement ce geste me rassure. Il m'occupe. Joanne est en retard. Il a dit vingt heures, il est vingt heures trois. Pourtant j'ai regardé et son téléphone est à la même date et à la même heure que le mien. Il a beaucoup de photos sur son téléphone mais très peu de sa femme. Depuis quand c'est sa femme ? Pourquoi il s'est marié avec elle ? Pourquoi si jeune ? Ils se sont mis en couple au lycée. Le couple modèle.

    Je continue de faire tourner l'anneau autour de mon doigt. Je sors de l'angle mort des caméras de temps en temps. Je me dis qu'on ne sait jamais, ça pourrait servir d'alibi. Le réceptionniste n'arrête pas de me jeter des coups d'œil.

    Vingt mille dollars pour une soirée. Combien il sera prêt à payer pour plus ? Qu'est-ce qu'il veut ? Pourquoi il me fait cette proposition alors que tant d'autres ont besoin d'argent ? Pourquoi aujourd'hui ? Le mariage ne l'empêchait pas d'aller fricoter ailleurs et apparemment ça n'a pas vraiment posé de problème à sa femme.

    La porte de l'ascenseur s'ouvre sur lui. Je m'empresse de ranger l'anneau dans la poche de ma veste. Ce soir je lui rends. Je ne veux pas de sa promesse.

- Pardon pour le retard.

    Je ne réponds pas. Pourquoi répondre "pas grave" quand j'ai compté chaque seconde et je ne vais pas lui faire un reproche alors qu'il me paye comme une escort pour la soirée. J'aurai dû me renseigner sur les prix, si ça se trouve, je me fais avoir.

- On descend au parking.

    Il se montre assurant, souriant mais autoritaire. Il n'était pas comme ça avec Mila. Il était souriant, certes, mais aussi blagueur, doux et moins tendu. Une ambiance étrange règne dans l'ascenseur.

- Je pouvais passer te prendre.

- Ça ne m'a dérangé de faire le déplacement.

    Il porte un costume. Il est magnifique. La femme qui finira avec lui aura de la chance. Joanne sait être attentionné, amical et sociable. Mais en ce moment, j'ai le droit à un mur qui regarde son portable. Il ne sourit pas. Il me regarde comme si j'étais son bien. Il n'y a rien de très cordial entre nous. Non. Il me jette quelques coups d'œil puis les portes s'ouvrent et il avance dans le parking. Il ne me touche pas, ne me sourit pas, ne me regarde pas. Est-ce vraiment ce que je renvoie ?

    Les phares d'une Jeep s'allument. Il avait une Tesla électrique. Un modèle plus écologique que ce gros tape cul qui ne sert à rien en ville.

- On va dans des chemins ?

- Non. Pourquoi ?

    Je hausse les épaules. La voiture n'a aucune utilité. Je pourrais la trafiquer pour qu'elle ne démarre pas. On sauverait peut-être un arbre avec ce trajet.

- Pourquoi on ne prend pas la Tesla ?

- Pourquoi on ne prendrai pas la Jeep ?

- Question d'écologie.

- Mmh... Ça ne m'étonne pas de toi.

    Comment on est censé se comporter quand on ne s'est pas retrouvé seul avec une personne depuis treize ans ? Je veux dire... Je suis allée dormir dans son lit aux Maldives mais on n'a pas parlé. Je suis arrivée, j'ai dormi et j'ai fui. Alors qu'est-ce qu'on est censé dire ? Des nouvelles sur Arkadi ? Où en êtes-vous avec Diego et Mila ? Non. On ne parle pas de l'organisation en dehors des murs de l'organisation. C'est la règle pour les employés. Les employés, pas les personnes comme Eryne, Mila, Peter, Nate, Joanne et Kate. Depuis que Eryne est arrivée, que Ashley est partie, c'est la merde.