Chapitre trois : Maya

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- Bonjour Maya. Comment allez-vous ?

    Mal.

    Neuf mois que je n'ai pas mis un pied dans cette pièce chaleureuse. Rien n'a changé, ou presque. La photo dans le cadre accueille maintenant un nourrisson, l'étagère avec les livres un nouvel objet mais tout est identique, y compris l'ordre dans lequel sont rangés les livres dans l'armoire sur la droite.

    Je reste assise sur le canapé en lin beige. Droite. Souriante. Je n'arrive pas à la regarder dans les yeux. La honte me submerge. La honte, la culpabilité, le manque de confiance en moi. J'ai tout perdu. Je me sens mal. Je n'aime pas cette position et pourtant il n'y a qu'ici que je me sente en confiance, que je peux me laisser aller et déverser mes sentiments.

    Je regarde derrière elle. Freud, Piaget, Vygotsky ornent l'étagère en bois tout droit venu d'un commerce de gros. Mon cœur bat et pourtant j'ai l'impression qu'il se brise. Comment je vais ?

- Je suis ici.

    Elle ne sourit pas. Elle ne prend pas non plus cet air blasé ou condescendant. Elle accepte ma réponse.

- Avez-vous mis longtemps à venir ?

- Ça fait longtemps que j'aurai dû venir.

- Et qu'est-ce qui vous en a empêché ?


    Les balances, l'amour, les émotions, mon travail, mes responsabilités, ma famille, le regard des autres que je porte constamment mais ce n'est pas ce que je réponds et elle le sait que mes pensées continuent d'être bloquées dans ma tête. Elles ne veulent pas sortir. Elles n'y arrivent pas et pourtant, j'aimerai qu'elles sortent.

- Comment se porte votre fille ? Je demande.

- A merveille, merci.


    Son pied arrête de se balancer. Elle décroise les jambes. Elle est anxieuse ? Surement à cause de l'arrivée de son enfant. Elle détache sa montre et la pose délicatement sur la table en bois massif entre nous. Elle veut attirer mon regard sur le cadran et c'est ce que je fais. Douze heures dix-huit. Déjà dix-huit minutes que je suis entrée dans cette pièce.

- De quoi voulez-vous me parler Maya ?

- J'ai replongé.


    Elle hoche la tête. Elle ne semble pas émettre de préjugés, ni d'avis sur ma réponse. Elle ne me demande pas dans quelle merde j'ai replongé et pourtant, j'aimerai être capable de lui avouer que plus rien ne va. Elle ne dit rien. L'heure tourne. L'aiguille des minutes avance.

    Je regarde autour de moi. Rien n'a bougé et pourtant je ne me sens pas en totale confiance. Je me lève, me dirige vers étagère et observe l'éléphant en bois qu'elle a dû ramener de son voyage en Inde. Je le prends, mon pouce caresse la surface lisse, ma main le soupèse.

- Quelque chose à changé dans votre bureau.


    Je dépose l'objet et récupère l'ours en bois. Je caresse la surface. C'est apaisant.

- Vous êtes allée au Canada ?

- En effet.


    L'ours en bois n'y était pas il y a neuf mois. Je l'agite, le sous-pèse, le tourne et le retourne dans ma main.

- Vous continuez.


    Ce n'est pas une question mais une information venant d'elle. Je souris, dépose l'objet et me retourne pour lui faire face.

- Pardon, les vieilles habitudes.


    Je m'assois sur le canapé, les mains sur les jambes. Elles ont changé. Elles paraissent plus faibles, moins énergiques.

[L.4] LOVE & THEATERWhere stories live. Discover now