Chapitre cinq : Joanne

240 22 2
                                    

Elle sursaute. Elle ne s'attendait pas à me voir mais ce que je vois est pire. Sa main est enroulée autour des tiges des rosiers comme si elle voulait faire un bouquet. Elle les sert si fort que son sang coule. Qu'est-ce qu'elle fait ? A quoi elle joue ? Elle pouvait parler dans la voiture. Elle pouvait me dire qu'elle ne pouvait pas supporter une soirée. Mais Maya a changé. Ce n'est plus la grande gueule d'il y a treize ans. Elle ne parle plus pour raconter sa vie ou pour me reprocher d'être riche.

    Elle n'enlève pas sa main. Au contraire. Sa poigne est plus forte. Elle n'ose pas me regarder. J'ai bien vu qu'elle baissait plus le regard qu'elle ne le levait. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé Snezhinka ?

- Maya, regarde-moi.


    Elle ferme les yeux comme pour s'empêcher de le faire. Elle ne desserre pas sa main. Je m'approche d'un pas. J'ai l'impression de marcher sur des œufs. Sa main se sert encore. Le sang coule de plus en plus sur les feuilles.

- Enlève ta main.


    Ses lèvres se pincent. Elle sert encore au maximum, une dernière pression avant de relâcher. Pourquoi elle fait ça ? Elle en était parfaitement consciente. Qu'est-ce que ça lui apporte ? Qu'est-ce qu'elle y gagne ?

    Je m'approche encore. Délicatement. Doucement. Je n'ai pas envie qu'elle fuit. Non. Elle ne fuira pas. Pas cette fois.

    Je ne veux pas lui faire peur non plus. Maya Petrova, qui es-tu devenue ?

    Je sors un mouchoir de ma poche et m'apprête à l'enrouler autour de sa main lorsqu'elle la recule d'un coup. Je m'en fous. Je lui attrape de force le poignet et panse comme je peux ses blessures.

- Pourquoi tu fais ça ?

- Pour les vingt milles dollars.


    Elle n'a pas réfléchi. Je ne comprends pas. Je ne lui ai pas demandé de se blesser, juste d'assister à un malheureux repas de famille.

    Elle a toujours les yeux fermés. Pourquoi est-ce qu'elle refuse de les ouvrir ?

- Tu touches un double salaire, sans compter que tu travailles au FBi et que ça rapporte assez pour se loger et se nourrir dans New York.


    Elle se laisse soigner comme si elle me devait ce service. J'ai l'impression que l'argent fout un merdier entre nous, il pèse entre nous. Je la voulais juste elle. L'argent est un moyen d'arriver à la faire entrer dans mes filets. Sans cet argent, elle refusera de m'approcher comme ces quatres dernières années où elle s'est soigneusement assurée de ne pas être dans les bureaux quand j'y étais. J'ai eu l'impression d'être un paria.

    Au loin, sur la terrasse, j'aperçois Abby qui nous cherche du regard. Je ne veux pas qu'elle vienne. Je ne veux pas qu'elle voit Maya dans cet état. Comment on justifie une main ensanglantée à cause des rosiers ? Est-ce vraiment les rosiers qui en sont la cause ?

    Je regarde Abby et lui fait signe que l'on arrive. Maya le sent. Elle se crispe. Qu'est-ce qu'il ne va pas avec cette salle ? Elle était tendue en arrivant. Dehors, elle semble plus à l'aise et elle se contracte à nouveau.

- On devrait rentrer, on va passer à table.


    Elle récupère sa main, la laisse tomber le long de son flanc. Elle ouvre les yeux mais quand je croise son regard. Putain ! Si je chope l'enculé qui l'a détruite à ce point, je le tue. Je me fous s'il appartient à une organisation ou si c'est un avocat de merde. Maya est morte. Ses yeux sont vides. Il n'y a que de la peine.

- On devrait y aller, on est attendu pour le repas.


    Le désespoir envahit son regard. Qu'est-ce qu'il se passe ? Qu'est-ce que j'ai dit ? Elle ferme les yeux comme tout à l'heure dans la voiture. Elle prend une inspiration et acquiesce. Elle acquiesce mais une larme s'échappe. Son mantra actuel doit être "vingt milles dollars" mais pourquoi elle a besoin d'un mantra ? Qu'est-ce qui se passe ? Elle devrait être heureuse, il pleut légèrement, on sent l'odeur de la pluie sur le sol chaud. C'est ce qu'elle m'avait avoué il y a treize ans.

[L.4] LOVE & THEATEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant