Chapitre seize : Maya

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Ça fait plus de vingt-quatre heures que je suis officiellement ici. Je me suis réveillée dans une chambre, la même que celle où j'avais dormi. Je n'ai toujours pas eu le droit de me doucher mais je trempe mes pieds dans les vasques du lavabo pour essayer de m'hydrater. Je ne fais confiance à personne. Sans Kate, je n'accorderai jamais ma confiance à la famille Jones. Je ne bois pas et ne me nourris pas.

Je continue d'arpenter le jardin. Est-ce qu'il y a une faille ? Une issue ? Je ne pourrai jamais parcourir soixante-dix kilomètres. Je me connais. Sans eau, je ne tiendrai pas vingt-quatre heures supplémentaires. C'est le temps que je laisse à Kate pour se montrer. La méfiance, ça s'apprend. Je connais des gens qui seraient prêts à empoisonner l'eau qui sort des chiottes pour que leur prisonnier meurt par leur propre faute et dans leurs propres remords.

J'entends des voix. Je n'ai pas besoin de me retourner pour les reconnaître. Il y a Eryne qui refuse de quitter la maison et de me laisser seule avec Peter. Après nous avoir surpris ou plutôt lui en train de m'étrangler, elle a choisi de rester dans cette maison pour s'assurer qu'il ne recommencerait pas. Nate fait des apparitions avec leurs enfants et repart. Pendant ce temps, je suis coincée dans la chambre. Je n'ai pas le droit de sortir. Ce n'est pas comme si je sortais souvent. C'est la première fois que je mets un pied en dehors de la chambre depuis que je me suis réveillée.

Je caresse les ronces du bout des doigts. Certaines épines rentrent dans ma peau, d'autres ne font que m'effleurer en me coupant à certains endroits. Ressentir la douleur est presque une bénédiction à ce stade.

Vous savez que le taux de suicide est six fois plus élevé en prison qu'ailleurs ? Que un détenu sur deux souffre de troubles anxieux ? Que des études montrent que les pathologies déjà présentes chez le prisonnier ont tendance à s'accentuer à cause de l'enfermement ? Que quarante-cinq pour cent des détenus arrivants présentent au moins deux troubles psychiatriques ?

- Elle a mangé ?

- Toujours pas.

- Elle boit ?

- Je ne sais pas mais si elle ne boit pas, elle tient bien.


J'enroule mes mains autour des ronces et serre d'un coup. Je ferme les yeux, prends une inspiration. Est-ce que c'est ce que je vais ressentir pour la dernière fois ? La sensation des épines qui percent ma peau, celle de la douleur qui parcourt ma main, celle du sang qui coule. J'inspire un grand coup. J'ai de l'air mais plus beaucoup de force. Je crois que je pourrai me battre, mener un dernier combat avant de rendre mon dernier souffle.

J'entends quelqu'un qui allume une cigarette, des pas dans l'herbe fraîchement mouillée, les oiseaux qui chantent au loin, des feuilles qui se caressent entre elles, des respirations dans le froid qui se rapproche. On est bientôt en novembre. Il fait froid. J'ai froid dans ce short et ce tee-shirt mais je n'arrive pas à respirer à l'intérieur. Je n'aime pas les lieux clos quand j'ai les mains liées par un lien en plastique.

J'entends une voiture qui se gare, des voix d'hommes et de femmes au loin.

- Maya...

- Dégage, Eryne.


Depuis qu'elle nous a vu avec Peter, elle s'acharne pour me sauver. Je ne suis pas une cause à sauver. Si elle tient au minimum à sa vie, elle me laisserait mourir. Je suis une bombe à retardement. Le genre de paquet cadeau que l'on envoie bourré d'explosifs.

J'entends quelqu'un d'autre qui s'approche. Ma main continue de serrer les ronces. Je ne ressens plus aucune douleur. La déception s'empare de moi. Je finis par relâcher les branches, plus par lassitude que par envie.

[L.4] LOVE & THEATEROpowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz