Liquorice Love

Tervetuloa Suomeen!

   

    « Woah, il est grand, quand même. »

    Nous sommes trois à lever les yeux sur le ferry, depuis l'embarcadère sur le port d'Helsinki. Le MS Silja Symphony semble flambant neuf, vaisseau blanc-bleu de la taille d'une barre d'immeuble. Une barre d'immeuble flottante, ceci-dit. L'embarquement commence tout juste, sous un crachin gelé.

    « Ça me rappelle quand je suis parti en croisière avec mes parents. Bon, c'était un paquebot du Club Med et on avait trente-cinq degrés de plus, mais j'imagine que ça va être cool quand même.»

    Cette observation provient de Jérémie, mon compatriote d'Erasmus. Lui aussi fraîchement débarqué sur le sol finlandais depuis septembre, pour sa troisième année de licence LEA. Nous nous connaissons depuis les bancs de la fac de Rennes ; sans être comme les doigts de la main, disons qu'on s'entend bien. Le blond extraverti fan de RnB et de foot, la brune introvertie qui n'écoute que d'obscurs tubes sortis avant les années 90. Les opposés s'attirent, comme on dit. C'est d'ailleurs ce qui l'a persuadé de me suivre dans le Nord pour notre dernière année, lui qui, à la base, était plutôt branché Malte ou Espagne.

    Il faut dire que vivre en Finlande, c'est mon rêve. Nonobstant quelques notes déliquescentes, le dossier de Jérèm avait été accepté, comme le mien, par l'Université de Jyväskylä. Bourse en poche, nous avons donc démarré une nouvelle année en pleine Région des Lacs. Au programme, entre autres : marketing, capacités interculturelles, droit des entreprises. Le tout en anglais, saupoudré pour moi de leçons d'italien, d'allemand pour lui. Sans compter l'apprentissage du finnois, cinq heures hebdomadaires auxquelles je m'adonne avec grand plaisir. Devoir apprendre les bases à l'aide de comptines passés 20 ans a quelque chose de terriblement amusant. Pää, olkapää, peppu, polvet, varpaat [1].

    Bien sûr, tous ces changements ne se sont pas opérés sans une bonne dose d'anxiété, ma vieille amante. Prendre l'avion, déjà. Une première pour moi. Prendre l'avion seule, les parents de Jérémie ayant insisté pour chouchouter leur rejeton jusqu'au dernier moment. Mais aussi quitter le cocon familial que papa, Arthur de son petit nom, a tissé depuis des années – depuis la mort de maman. Je n'avais que trois ans. Je crois en garder quelques souvenirs, mais peut-être ne sont-ce que des rêves inventés à partir de photos de mon enfance. Toujours est-il que papa n'a jamais convolé avec une vilaine marâtre qui m'aurait fait astiquer l'argenterie et que, moi, j'ai toujours eu beaucoup d'imagination.

    « Vous pouvez me prendre en photo devant ? »

    La question émane cette fois de Soline, la petite blonde qui nous accompagne. Une Strasbourgeoise, victime elle-aussi de la renommée d'Erasmus. Nous l'avions rencontrée lors de la soirée d'intégration de notre résidence étudiante. Elle me tend son portable et va s'appuyer contre une bite d'amarrage, ce qui lui vaut un commentaire graveleux de la part du sexe masculin.

    « C'est tellement spirituel, vraiment, siffle-t-elle en revenant dignement observer le résultat. Ah non mais, avec ce vent, on voit même pas ma tête. Tu peux en reprendre une ?

    — Si c'est pour envoyer à ta reum, elle devrait réussir à te reconnaître, raille Jérémie. Bon allez la séance tapis rouge, c'est bon. On y va ?

    — T'as si hâte de savoir avec qui tu vas partager ta cabine ? lui demandé-je alors que nous grimpons la rampe.

    — Honnêtement, je m'en branle. Même si j'aurais préféré être avec vous.

    — Mais c'est qu'on voulait peut-être pas de toi, fait remarquer Soline dans notre dos. Et puis, c'était bien précisé à l'inscription : pas de cabine mixte.

    — Ça, j'y crois moyen. C'est une croisière étudiante, observé-je avec un petit sourire.

    — La grande aventure Erasmus ! clame théâtralement Jérémie. L'ouverture sur une société où tout est possible, le mix des cultures !

    — Et celui des MST, ricané-je sans qu'il m'écoute.

    — Oh, c'est stylé, matez ça ! »

* * *

[1] Tête, épaule, fesses, genoux, orteils.