Joséphine

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Nous choisissons deux cabines attenantes, écartons le rideau entre elles pour commenter nos essayages. Je dézippe mes bottes, déboutonne mon jeans et m'en extirpe avec peine, encore collante de cire. Je m'apprête à passer un hypothétique remplaçant de mon pantalon favori lorsque mes yeux tombent sur le triangle de dentelle que je porte. Un simple tanga, rien de bien osé.

T'es vachement bonne, Tiph, même si t'es bizarre.

Pourquoi faut-il que ça resurgisse maintenant ? Ah, oui. Parce que je portais cette même lingerie, ce jour-là. Un vieux truc que je pensais enfoui sous des couches sédimentaires d'amertume et d'indifférence.

Tu veux qu'on s'embrasse ?

Bien sûr, métalleux de mes deux. Je ne rêvais que de ça. Je pensais en être éprise au point de lui brader mes après-midis, quand papa était à la librairie. J'avais cru que ce serait excitant ; c'était seulement douloureux.

Détends-toi, j'arrive pas à rentrer. Mets-toi comme ça, c'est plus simple pour moi.

Je contemple mon ventre dans le miroir de la cabine, mes cuisses. Soline, elle, babille en observant ses fesses, moulées dans un short en simili.

Putain, t'es chiante. Je peux même pas finir ! Je sais pas pourquoi je suis ici, ça sert à rien.

Je l'avais supplié de rester. Tout plutôt que d'être seule. Tout plutôt que ce sentiment d'échec. Même s'il avait la douceur d'une vierge de fer et que chacun de ses coups de reins, pitoyable, me donnait davantage envie de pleurer que de gémir.

Ok, mais seulement si tu me suces.

Je passe une main dans mes cheveux. Moite. J'avais seize ans, lui aussi. Le fils des voisins. Sympa, bon élève, le gars qui reprenait du Metallica dans son garage. Pas celui qu'on imagine contraindre la fille du libraire à s'agenouiller devant lui.

« Ça va ? me demande Soline en agitant une main dans mon champ de vision. On est en train de te perdre, je crois. »

Je me force à sourire, brûlante en dehors, glacée en dedans. Mes doigts tremblent alors que je referme le bouton, fais semblant de m'intéresser au résultat.

« C'est Léandre ? »

Je ferme les paupières, expire. Non, ce n'est pas lui. Même si tout en moi refuse de croire que ça pourrait être lui, les souvenirs, eux, sont bien là. La peur, aussi. Celle de décevoir, de ne pas être à la hauteur. De ne pas être désirable, juste bizarre. Bonne, mais bizarre. Une poupée dont on s'intéresse à l'apparence parce qu'elle fait exotique sur un tableau de chasse, mais dont l'intérieur rebute.

Agitée par un frisson qui n'a rien à voir avec la température, je finis par pivoter vers Soline.

« Tu crois qu'il s'attend à ce qu'on couche ensemble ? finis-je par lâcher, voyant le regard encourageant qu'elle m'adresse.

— Ben, en toute honnêteté, ça doit lui avoir traversé l'esprit. Mais, en vrai, peut-être pas. Vous avez le temps d'en discuter, non ?

— Je ne suis pas sûre d'être capable d'en discuter. Quand j'ai dit que mes expériences précédentes étaient bof, c'était pas seulement bof. C'était horrible. Je me suis toujours forcée. Pour essayer de leur plaire, pour qu'ils ne partent pas. Ça n'a jamais été agréable. J'ai... j'ai peur de ne pas y arriver. Je ne veux pas tout gâcher, pas avec lui. »

J'observe un moment les jolis néons triangulaires du plafond, les yeux à deux doigts de la noyade. Soline enjambe la tringle du bas pour me prendre dans ses bras.

« Ça carbure là-dedans, dis donc, chuchote-t-elle alors que je me laisse aller contre son épaule, hésitant entre rire et sangloter. Ça va aller, t'en fais pas. De ce que j'en ai vu, ton Léandre m'a l'air d'être un gars bien élevé. Sinon tu m'appelles et je viens lui péter les genoux. Je suis juste à la bonne hauteur. »

Je ris cette fois, l'étreins en retour. Si quelqu'un m'avait annoncé que je parviendrais à vocaliser ma déconfiture un jour, je l'aurais sans doute traité de siphonné. Même Lucia n'en sait rien ; je ne le lui ai jamais révélé. Peut-être parce que sa propre vie sexuelle paraissait toujours formidable quand elle me la racontait au beau milieu de la nuit, à glousser sous le même duvet ? Que dire de plus que super quand ta meilleure pote t'avoue avoir joui trois fois d'affilée avec son Jules et que, toi, tu envisages sérieusement la retraite dans un couvent ?

« Dans un sens, comme ma chambre est en dessous de la tienne, ça m'arrangerait que vous ne me fassiez pas un remake de la croisière s'amuse, ajoute Soline après s'être assurée que mon moral est remonté d'un étage. Mais vraiment, Tiph, te prends pas la tête avec ça. Vous avez le temps. Et puis, si ça devait se passer malgré tout, si t'en as envie, si lui aussi... ben, oubliez pas de parler avant. Voire pendant. Paraît que ça aide.

— Il paraît, oui. Merci, Mimi.

— Tu dis ça parce que je suis naine ?

— Parce que tu es un peu ange gardien, à tes heures perdues.

— Ah, bah. C'est toujours mieux que Maïté. »


Liquorice LoveWhere stories live. Discover now