Casino Royale

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« Hello there, nice to meet you! clament radieusement deux filles dont l'apparence me fait hurler intérieurement cagoles. So apparently we share the same cabin ? » [1]

Je m'écarte pour les laisser passer. Elles serrent la main que leur tend Soline, à moitié fagotée, se présentent comme Olivia et Alejandra, espagnoles effectuant leur premier semestre à l'Université d'Helsinki. Je dégage mon sac de la couchette du haut, réquisitionnée par la seconde des deux. La surface déjà exiguë s'étrécit encore lorsqu'elles ouvrent leurs énormes valises à même la moquette – bon sang, pourquoi tant de fringues pour un aller-retour à Stockholm ? Le placard dans ma chambre étudiante n'en contient pas tant.

« Oh but you dress yourselves as pirates? We thought it was kinda ridiculous, see. [2]

— It's not [3] » affirmé-je en nouant sèchement les liens de mon corsage.

Soline n'en a pas tant l'air convaincue, ce qui m'agace. Moins, cela étant, que le babillage ibère qui résonne sous le plafond bas. Ça toque à nouveau. L'une des Espagnoles va ouvrir sur un déhanchement qui me fait craindre une scoliose, tombe sur un Jérémie tout sourire. Je le repousse dans le couloir pour respirer un peu d'air frais.

« Elles ont l'air sympa, vos colocs, glisse-t-il alors que la porte se referme sur Soline qui essaye tant bien que mal de se glisser dans la salle de bain.

— Elles parlent trop fort pour l'être.

— Mais c'est parce que t'es une sauvage, Tiph. Ça te va bien, cette robe.

— C'est une jupe. »

Je le vois me détailler avec un sourire en coin. Je suis aussi grande que lui, ce qui ne l'a jamais empêché de dénicher des angles depuis lesquels il a vue sur mon décolleté. Il paraît, selon Soline, que ça crève les yeux : Jérémie est in love et je n'ai qu'un mot à dire pour qu'il se jette à mes pieds. On me le chuchotait aussi à la fac, ces très rares accointances capables de tolérer ma présence et le noir prépondérant de ma garde-robe.

Le fait est que, oui, Jérémie est sympa. Je l'ai même laissé m'embarquer dans quelques soirées rennoises – alors que, Dieu sait que je déteste ces moments de sociabilisation forcée. Mais que Jérèm me croit redevable de s'être sacrifié pour m'accompagner en Finlande, ça, ça m'horripile. Ce séjour, j'ai bossé pour l'obtenir. Et il m'arrive parfois de regretter qu'il doive s'accompagner de présence un chouïa étouffante du blond breton.

« Et toi, tu te costumes pas ? demandé-je pour éviter à son regard un strabisme convergent prolongé.

— J'ai un tricorne, avoue-t-il en extirpant le pauvre galurin en feutre synthétique plié au revers de sa veste Fila.

— Bien joué, Davy Jones.

— Tu savais qu'il y a un casino dans le bateau ? Ça donne pas trop envie ? Genre un trip à la James Bond, t'sais ? »

Je le laisse poursuivre la conversation, un procédé qui a fait ses preuves et contre lequel il n'a jamais trouvé à redire. Soline finit par réapparaître, lèvres vermillon et fard à paupières d'un pourpre irisé pour rehausser ses yeux clairs.

« Ah, vous avez fait votre shopping dans la même boutique, on dirait, s'amuse Jérémie. Non mais c'est bien, vous êtes raccord avec le thème, ajoute-t-il en coiffant son tricorne aplati, dont la plume pend tristement sur le devant. Allons séant faire un tour duty free, mesdâââmes ! »

* * *

[1] Salut, ravies de faire ta connaissance ! Donc, apparemment, on partage la même cabine ?
[2] Oh mais vous vous habillez en pirates ? On trouvait ça un peu ridicule, en fait.
[3] Non, ça ne l'est pas.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now