Kopfertami

22 7 0
                                    

« MAIS QUOI ? »

J'esquisse un sourire gêné. Ineke a dû tomber de sa chaise, de l'autre côté du mur. Soline me secoue comme pour me tirer d'un état avancé de catatonie.

« T'es sérieuse ? Montre. Now. »

Je la laisse ouvrir Wikipédia, le site Realize. À croire que mon PC la prend pour sa légitime propriétaire : il est bien plus lent et capricieux avec moi.

« Kopfertami ! Pas de doute, c'est lui, annonce Soline avec le sérieux d'un prêche. J'en reviens pas.

— Moi non plus.

— Tu vas lui en parler ?

— C'est à lui de le faire, j'imagine.

— Meuf, c'est tellement une bonne nouvelle ! T'as même pas à attendre qu'il soit directeur de quoi que ce soit, tu peux déjà les avoir à Noël, les Louboutin ! Vas-y, on va déjà te choisir une paire, t'auras qu'à lui en toucher deux mots la prochaine fois que tu lui causes. Peut-être même que Louboutin appartient à Realize ? Han, je vais checker. »

C'est de l'enthousiasme, ça. Nous trinquons donc à cette découverte et aux semelles rouges, avant de tenter tant bien que mal de reprendre nos travaux respectifs, sans grand succès.

* * *

Il est 23h30 lorsque nous parvenons, après relecture bâclée, à déposer nos devoirs sur Korppi, la plate-forme de l'Université. S'en suit une seconde canette pour dûment célébrer la victoire, un nouvel épisode du feuilleton « Imaginons tous ensemble la vie passionnante de Léandre Ceste », vol.8, auquel j'essaye de faire tourner court.

Une heure plus tard, Soline a regagné sa chambre un étage plus bas. J'éteins ma lampe de chevet, ne laissant que l'écran de mon lecteur MP3 et celui de mon téléphone éclairer la pièce. DARE de Gorillaz tourne alors que j'envoie un message à Lucia pour lui assurer que mon postérieur sera toujours sien, quelles que soient les circonstances. Un sourire accroche mes lèvres lorsque je vois le nom de Léandre apparaître au-dessus d'un message Whatsapp.

Léandre : 

Bilan du match de hockey auquel Antti a tenu à ce que j'assiste : divertissant, dans l'absolu, même si je n'ai rien compris aux règles.

Ni aux calculs pour diviser la note des tournées. La voiture est restée au stadium, on va devoir aller la récupérer demain.

Il se peut donc que j'aie bu plus que de raisno.

Raison*

Ce qui m'amène à te demander, avant de n'avoir plus le courage de le faire :

Est-ce que tu voudrais bien que je vienne à Jyväskylä le weekend prochain ?

Tu me manques.

Et toutes mes excuses pour la surcharge dramatique de ces messages.

Je mourrai très certainement de honte en les relisant demain, ce qui t'épargnera de souffrir ma présence.

Je ris sous ma couette, attendrie et volage à la fois. Alors donc, Monsieur Ceste, serait-on par le plus grand des hasards un peu ivre, hm ? Quoi qu'il en soit, je juge inutile de tergiverser. Au diable le petit jeu de la péronnelle effarouchée.

Vous :

Oui :)

Léandre : 

Oui à quel message ? Parce que j'ai de la peine à me relire.

Vous :

À tous, mais un en particulier

Tu pourrais déjà venir vendredi soir

Je consulte un moment le plafond, voire si la marche à suivre n'est pas comme par magie apparue sur un mystérieux prompteur. Le crépis forme un motif dans lequel j'ai déjà recensé un dragon certes un peu aplati mais gueule béante, une sorte d'épée tordue. Bon présage ? Sûrement. Ou bien le signe qu'il est temps de boucler son ceinturon, hisser la bannière et grimper au créneau. Souriante à l'idée de l'imaginer dans son lit, plus ou moins dans la même position que moi, je me décide pour un :

Vous :

Tu me manquais aussi.

Léandre : 

Au passé ? Je ne suis pas encore mort. Pas tout à fait.

Vous : 

Maintenant que je sais qu'il reste 7 jours à attendre pour te revoir, tu me manques beaucoup plus.

Paradoxal, non ?

Léandre : 

Principe d'anticipation, je crois.

Ça n'en est pas moins flatteur, même si je ne comprends pas vraiment pour

quoi*. Désolé pour l'interruption

Vous :

Tu ne comprends pas pourquoi j'ai hâte de te revoir ?

Léandre : 

Non. Enfin, oui.

Vous : 

C'est une plaisanterie, M. Ceste ?

Léandre : 

J'ai un sens de l'humour déplorable.

Ça paraît étrange, comme question ?

Vous :

Un peu

Léandre : 

Ah.

Ça, je préfère t'en parler de vive voix. Et sobre, si possible (:

Tu veux peut-être dormir maintenant ?

Vous : 

Non. Raconte-moi plutôt le match. En détails.

Je ne sais pas qui de lui ou moi s'est endormi en premier – toujours est-il que je m'en vais dessiner, le lendemain matin, une petite croix noire sur la case du 17 novembre.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now