Swedish sauna

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      Une Finlandaise jette une louche d'eau sur les pierres du sauna. Soline expire avec béatitude ; je descends quant à moi d'un étage pour m'allonger sur le banc. Le thermomètre affiche 90°. Par égard pour nous, les autres occupantes, locales, n'osent pas monter plus haut. Un adage dit, en Finlande, qu'un sauna en-dessous de 100°C devient suédois. Autrement dit, un sauna de mauviette.

« Alors, vous allez passer la soirée en mode Roméo et Juliette ? chuchote Soline, après avoir déjà évoqué un millier de scénarios possibles pour le concert de ce soir.

— Sans la fin tragique, j'espère.

— Et t'as rien dit à Jérémie ?

— C'est pas comme si ça le regardait.

— Un tout petit peu, quand même. On parle de l'amour de sa vie qui fricote avec un richissime gothique.

— Je vais plus rien te dire, à ce rythme-là.

— Ah mais si, continue. Je vis une formidable histoire d'amour par procuration, grâce à toi. Les triangle amoureux, c'est la meilleure chose qui puisse exister. »

Dans les faits, il n'y a même pas de quoi tirer une ligne droite entre le point T et le point L. Nous nous sommes envoyés des messages depuis, certes, mais rien d'éminemment probant. Je n'ai pas osé mettre sur le tapis notre découverte via LinkedIn, évoquant seulement la profession de mon père – si jamais, pour une quelconque raison, ça devait le rebuter.

« Et puis, désolée de te le dire, mais t'es clairement en amour, poursuit Soline en s'éventant.

— Non.

— Première étape, le déni.

— L'attirance, ça peut très bien rester à sens unique.

— Mais il répond à chaque message, et il t'en envoie sans que t'aies besoin de lui sonner les cloches.

— Mon cousin aussi.

— Ha ! Parce que vous êtes des Targaryen à vous marier entre vous, c'est tout. »

Il est vrai que Game of Thrones occupe depuis quelques temps une part conséquente de nos conversations, lorsque ce n'est pas Léandre. Soline et moi avons commencé à regarder la saison 1, sceptiques au premier épisode, accros à la fin du second.

Mon costume d'Ève et moi nous redressons finalement pour passer à la douche, d'une divine fraîcheur. J'essore mes cheveux, m'enveloppe dans une serviette pour accéder à la terrasse. Une sorte de grésil floute le toit plat des immeubles, les forêts qui entourent la résidence. Il a neigé plusieurs fois depuis Halloween, mais une vague de redoux transforme la blancheur tant espérée en flaques grisâtres, au grand dam des Finlandais. C'est à la fois morne et reposant. Soline me rejoint dans un nuage de buée.

« Tu me raconteras en live, si tu trouves de l'internet ? »

Étudiantes sans le sou mais accros aux nouvelles technologies, nous sommes contraintes de composer avec des abonnements téléphoniques français sur le sol finlandais. Hors wifi, le budget communication explose en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire : papa me l'a gentiment fait remarquer en recevant la facture du mois de septembre.

« En vrai, je sais pas si je vais pouvoir attendre demain, soupire Soline. Vous rentrez vers quelle heure ?

— Pas avant 3h du mat', j'imagine.

— Dang. Je vais camper devant ta porte. »

Ma tête heurte la sienne avec un poc, initiant une nouvelle session d'hypothèses bien souvent pires que les miennes. Je préfère à vrai dire me concentrer sur une seule chose, quelle que soit la finalité de cette soirée.

Ce que je ressentirai en distinguant, parmi la foule, la silhouette de Léandre.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now