Tiens bon la barre

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      Le rideau de fer abaissé sur l'une des cellules commerciales de la « Promenade » s'est ouvert une fois les eaux internationales atteintes. Au-delà de 16 degrés, il est nécessaire d'avoir 21 ans révolus pour se procurer de l'alcool fort en Finlande. Soline affichant ses 19 ans au compteur, Jérèm 20, je suis officiellement pourvoyeuse de fun sous forme liquide : un vrai business alternatif à la fac de Jyväskylä. J'en profite pour craquer sur une bouteille de Viru Valge, l'équivalent estonien de la vodka, moins chère que cher.

Nous nous aventurons ensuite brièvement sur le pont, balayé par des bourrasques glacées, pour regarder les vagues s'écraser en puissants remous sur la coque. La météo annonce une traversée mouvementée – reste à savoir à quel point. On ne peut pas dire qu'en bonne bretonne, j'aie le pied marin. Je n'ai à dire vrai jamais passé la nuit sur un bateau, ni gros, ni petit : une découverte de plus à mon palmarès depuis cette rentrée.

Notre butin entreposé dans la cabine, nous repartons à la découverte du ferry. Ses cinq restaurants, la salle-discothèque dans laquelle aura lieu la soirée Pirates, les boutiques de vêtements, de souvenirs. Je fais quelques photos que j'envoie à Papa, sur Messenger, sans espérer de réponse. Il n'est que rarement connecté, préférant la rédaction d'emails old school aux discussions instantanées.

Je me demande s'il s'en sort, à la librairie, privé de son assistante de toujours. Il m'a avoué récemment qu'il songeait embaucher un aide de camp pour l'été, lorsque les touristes envahissent la baie du Mont Saint-Michel. Si cette année est couronnée de succès niveau études, j'obtiendrai ma Licence. Quant à savoir quel Master effectuer ensuite, où me dirigeront mes pas... c'est une autre histoire à laquelle je préfère ne pas songer dans l'immédiat. 

Parvenus au buffet, des plats des 4 coins du monde s'étalent sous nos yeux brillants. Jérémie empile une quantité improbable de denrées dans son assiette, espérant peut-être satisfaire le ver solitaire qui lui tient lieu d'estomac. Soline et moi œuvrons avec davantage de retenue : l'exploit de la soirée relève plutôt du fait de rester debout. Ça tangue fort, à tel point que nous nous empressons de siffler nos verres de blanc pour ne pas laisser la divine piquette se répandre sur nos plateaux.

« Vous êtes malades en bateau, vous ? s'enquiert Jérémie en engloutissant goulûment une part de quatre fromages. J'ai cru comprendre qu'ils vendaient des cartes au bar, une fois que t'as payé le forfait, tu peux boire à volonté. C'est pas chanmé ?

— Avec ce roulis, c'est surtout le gerborama assuré, observé-je en voyant un couple prendre appui l'un sur l'autre pour ne pas s'affaisser.

— Eh, matez ça, y'a des autres pirates ! »

Nous croisons encore plusieurs étudiants déguisés, sur le chemin jusqu'au Palace. Ça semble intriguer certains passagers lambda, qui nous interpellent pour demander ce que signifient nos accoutrements. L'ambiance est légère malgré les conditions météorologiques déplorables et la queue à l'infirmerie pour traiter cette vague de nausées fulgurantes. Nous dégottons une table en marge du lounge qui surplombe la piste de danse. Les spots éclairent les danseurs qui se hasardent de gauche à droite, déportés par la houle. Vu du haut, l'ensemble est assez comique. Le DJ passe quelques hits du moment, Psy en tête de liste. Exécuter Gangnam Style sur des creux de quelques mètres tient de la prouesse.

« Regarde ! crie Soline pour couvrir le vacarme. Y'a les Espagnoles en chaleur juste là en-dessous. Non mais genre, d'où c'est permis de se frotter comme ça en public ?

— Elles sont peut-être venues avec leurs mecs, lâche Jérémie, intéressé par le spectacle.

— Tant qu'elles ne nous les ramènent pas cette nuit, soupiré-je en sirotant ma bière. T'as des colocs, toi ? ajouté-je pour Jérémie.

— Un Allemand. Vous pourrez toujours vous rabattre chez nous si vos amies sont d'humeur caliente.

— Quelle horreur. »

Certains commencent à sentir les effets combinés de la tempête et de l'alcool : des femmes de ménage apparaissent comme par magie avec seau et lavettes pour éponger quelques accidents malheureux. Nous tenons bon, sans forcer sur la bibine, ni sur les pas de danse ; ça n'a jamais été ma came, de toute manière. Jérémie insiste pour que je lui offre un slow. Je refuse catégoriquement, ce qui le lance dans un travail au corps des plus pénibles.

Quand Soline annonce qu'elle a oublié son rouge à lèvres dans la cabine, je saute sur l'occasion.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now