Liquorice Love

Lulu

Lucia, le soutien de toujours, est en ligne. Avec elle au moins, je n'ai jamais eu de peine à être spontanée. Sûrement parce qu'on avait l'habitude, étant petites, de prendre nos douches ensemble. C'est toujours le cas, d'ailleurs. Ça se tente.

Vous :

T'aurais 5min, que je t'appelle ?

Lulu :

M'appeler ? Toi ? C'est grave ? 😨

« Salutations ! m'annonce joyeusement Lulu en apparaissant à l'écran. Houlà, il est minuit, en Finlande ?

— 16h45. Ça va ?

— Moi oui, mais toi ? C'est quoi, cette petite mine ? T'as eu une mauvaise note ? Tu t'es pété le coccyx sur le verglas ? Y'avait plus de frites au self ? Oh, attends, c'est pas à propos de ton Léandre, au moins ? »

Mon Léandre. Je ne vois plus comment il pourrait le devenir, maintenant que je sais à quel point nos vies sont stratosphériquement éloignées l'une de l'autre. Ça me fait plus mal que je n'ose l'admettre.

« Un peu. J'ai... découvert un truc, par hasard.

— Il a fait de la taule ? Il a déjà été marié 2 fois, il a 6 gamins dont 3 illégitimes ? Il fume, prends des champi ? Il supporte le PSG et ç'a complètement détruit tes rêves de posséder un manoir hanté avec lui ?

— Ah, tu saoules. Regarde ça, plutôt. »

Je vois ma rousse moitié cliquer sur le lien que je lui envoie, froncer les sourcils. La blancheur de la page Wikipédia se reflète sur son joli visage piqué de taches de son, encadré de boucles lâches. Fleur Delacour croisée avec Ginny Weasley. Si je suis la fille de la Lune, elle est la digne rejetonne du Soleil. Pas étonnant qu'on s'entende aussi bien.

« Attends, reprend-elle après quelques secondes de lecture. On parle bien de la même personne ? Ton Léandre Ceste, c'est le fils d'Alban Ceste, le DG de Realize ?

— À moins qu'il ait un homonyme né le même jour, il faut croire. »

Je retrouve la chronologie sur le site du Groupe. Lucia a déjà vu la seule photo que je possède de Léandre adulte ; sa version enfant la fait esquisser un sourire à la fois choqué et ému.

« Mais non ! Tellement improbable ! Il ne t'a rien dit ?

— Non, enfin, si, qu'il ne s'entend pas avec son père, qu'il ne vit pas avec ses parents mais chez sa tante et son oncle. Lulu, j'ai besoin que t'enclenches l'intelligence millénaire, et vite, soupiré-je, visage entre mes mains. Je fais quoi ?

— Quoi, tu fais quoi ? Ça paraît clair. Tu fais comme si de rien n'était. Il va bien finir par t'en parler si, comme il le dit, il tient tant à te revoir.

— Mais t'as compté le nombre de zéros sur le bilan annuel de Realize ? Même si son père n'a qu'une fraction de ça sur son compte, de quoi je vais avoir l'air avec ma C2 en allant me garer chez eux ?

— Ah, ça c'est de la projection, bravo.

— D'un film d'horreur, oui.

— Bon. Ouvre tes oreilles, bichette. T'as pas besoin de thunes pour être quelqu'un de hautement adorable. Je serais pas ta meilleure pote depuis 17 ans, sinon.

— Moi qui croyais que c'était la fortune Onésime qui nous avait rapprochées.

— Plutôt ton cul de déesse grecque, répond-elle en mimant les courbes d'une amphore. Que ton bel Ephèbe suceur de sang a dû repérer aussi, soit-dit en passant.

— Laisse mes fesses en dehors de ça, merci.

— Pour le moment. Et pour en revenir au sujet du blé, t'as pas mitonné comme quoi t'es la fille cachée de Stéphanie de Monaco ou l'héritière d'un gourou du pétrole, non ?

— Bien sûr que non, m'insurgé-je. Il sait que papa est libraire et que je vis dans un 9m² avec de l'eau chaude un matin sur deux.

— Et ça ne l'a pas repoussé, tu vois. Pas besoin de paniquer. Tu gardes ça pour toi et tu attends de voir.

— Mais c'est ce que je fais de mieux, paniquer. J'en suis à ma huitième mini-crise d'angoisse en cinq minutes. Elle en dit quoi, la doctoresse ?

— Que t'es tarée, mais que je t'aime pour ça. Je prescris une petite verveine.

— Je viens d'écouler un thé aussi sombre que mon âme.

— Arrête voir. Est-ce qu'il t'a fait ressentir que le pognon était important pour lui, plus que toute autre chose ? Est-ce qu'il se comporte comme un fils à papa ? Parce que j'en connais, moi, des trous du cul du genre, avec ma famille de bobos. Tu te souviens de Raphaël Laramée-Dusquet ? Est-ce que ton Léandre s'apparente à Raphaël Laramée-Dusquet ? Non ? Voilà, t'as ta réponse. Respire et laisse aller. Oh, bien sûr, tu peux aussi en parler à ta nouvelle meilleure copine. Je rigole, on se calme. Mais je suis sûre qu'elle sera du même avis que moi. »