Vêtue d'une veste courte appartenant à Antti, j'accueille la bruine qui grise Vantaa avec un plaisir certain. Léandre et moi marchons côte à côte sous des arbres déplumés, dont les feuilles voltigent dans le sillage des rares voitures de sortie. Il est tout juste 9h et le soleil, bas à l'horizon, hésite à quitter le couvert nuageux.
Arrivés devant le K-Market, Léandre me laisse obligeamment passer le portique, ponctuant la révérence d'un :
« Après vous, Mlle Onésime.
— Tiens donc. Puis-je vous demander, Monsieur, comment avez-vous eu vent de mon nom ?
— Je suis allé voir le site de la librairie de ton père, Le Vert-Galant dont tu m'as parlé. J'ai supposé, peut-être à tort, que vous aviez le même nom.
— Habile. Je peux savoir le tien ? ajouté-je avec un détachement tout à fait plausible.
— Ceste. Léandre Søren Auguste Ceste. Ma mère est originaire du Danemark.
— Mais tu es franco-suisse ?
— Mon père l'est, donc je le suis. Trois nationalités, ça complique inutilement l'obtention d'un passeport. Et puis, je ne parle pas un mot de danois. J'aimerais bien, ceci-dit. »
Il doit deviner quelque chose à l'air que je m'efforce de masquer.
« Ce que j'ai dit hier soir laissait peut-être supposer que mes parents sont décédés. Ils sont bien vivants, mais j'en parle rarement, voire jamais. Antti me croit orphelin – ça accentue encore le côté Bruce Wayne.
— Ne te sens pas obligé d'en parler, si tu n'as pas envie.
— Envie, pas spécialement. Mais ça paraît plus simple, d'évoquer ça avec toi. »
Je pivote vers un étalage de baies variées pour ne pas avoir à rougir.
« J'ai fait connaissance virtuelle avec Arthur Onésime, reprend-il toutefois, mais tu ne m'as pas parlé de ta mère.
— Je ne l'ai pas connue. Elle est morte quand j'étais petite. »
Il pâlit, s'apprête à répondre. Je l'interromps avec un petit sourire, tout en inspectant une barquette de bleuets.
« Tu ne pouvais pas deviner. Papa ne s'est jamais remarié et je suis fille unique, donc... pour finir, il n'y a que lui. Et quelques cousins dont je ne suis pas vraiment proche. La lignée Onésime va péricliter, je le crains, ajouté-je avec l'allant d'une dramaturge.
— Mon père préférerait sûrement qu'elle s'éteigne avec lui.
— Vous ne vous entendez pas très bien ? supposé-je donc.
— Pas du tout. Mais mes déboires familiaux n'ont rien à voir avec ce qui nous intéresse présentement. Donc, des myrtilles ?
— Je pensais faire des pancakes, si tu n'as rien contre. Soline rêve de m'inscrire au Meilleur Pâtissier.
— Je cuisine à peu près aussi bien que je chante ; pancakes, c'est parfait. »
Léandre s'occupe de régler et nous reprenons sans hâte le chemin dans la grisaille matinale, devisant parfois, nous contentant d'un silence paisible le reste du temps.
🫐
Enseveli sous sa couverture, Jérémie sommeille toujours quand nous rentrons. S'il ne nous a pas entendu quitter l'appartement ni rentrer, le bruit de la machine à café le tire des bras de Morphée. Léandre profite que son hôte se redresse, hébété, pour aller ouvrir les stores du salon.
« Bien dormi ?
— Tranquille. Et toi ? Vous ? ajoute-t-il en m'apercevant dans la cuisine. Ça va, l'Elfette ?
— Nickel. On est allés chercher de quoi faire des pancakes.
— Hein ? Mais fallait me sonner, il est quelle heure ?
— Même pas 10h, le renseigne Léandre. Je n'allais pas vous flanquer dehors à l'aube.
— Ah bah, merci. T'as déjà regardé les horaires de train, Tiph, du coup ? »
Léandre et moi échangeons un regard. Ça m'a effleuré l'esprit avec la délicatesse d'un 36 tonnes, bien sûr. Quand bien même je le veuille, je ne peux pas rester à Vantaa. Léandre travaille, j'étudie à 250km de là. Premier écueil à très court terme.
« On va déjà déjeuner, conclus-je en me contraignant à l'enthousiasme. Tu dois avoir faim, après l'épisode hot dog.
— Wah, j'avais oublié. Quel enfer.
— Café ? propose Léandre.
— Un grand, ouais, s'il te plaît. »
S'en suit une conversation à base de Dark Souls, pendant que les deux m'assistent dans la cuisine : l'un en me fournissant ustensiles et ingrédients nécessaires, l'autre en commentant chaque étape de la recette à base de hé, tu peux faire genre les myrtilles dessinent un smiley ?
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Liquorice Love
Romance🇫🇮❄️🍻🤘🏻🍭🔞 • Octobre 2012, Finlande. On dit que l'aventure Erasmus permet des nouvelles rencontres, inoubliables. Sans doute, mais quand on est, comme Tiphaine, étudiante en Langues abonnée au sarcasme mais introvertie jusqu'au trognon, s'imme...