Dark Souls

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      Une vingtaine de minutes seulement nous sépare d'un quartier résidentiel de Vantaa, après avoir déposé Martin non loin du centre d'Helsinki. La jauge d'endurance du breton semble avoir atteint son minimum, quand bien même le volume dans l'habitacle soit plus que raisonnable.

« Y'a vraiment des gens qui écoutent ça ? demande-t-il en s'accoudant à mon siège. On dirait un concerto pour scie sauteuse, avec les Visiteurs en fond.

— C'est quoi, ton genre de musique ? se contente de rétorquer Léandre.

— Bah, j'aime un peu de tout. Pop-rock, RnB. De l'électro aussi, genre Daft Punk, LMFAO.

— Jamais entendu parler.

— Sérieux ?

— Non. Ça m'arrive de sortir de ma crypte.

— Lol. »

Il est vrai que Jérèm est l'un de ces individus capables de placer lol dans une conversation sans y instiller une once de second degré.

« C'est là, indique Léandre en garant la Volvo devant une façade sur laquelle je dénombre six balcons.

— Eh ben, ça ressemble pas au M-building » observe Jérémie.

J'essaye de lui signifier que rien ne sert de s'appesantir sur le sujet. Peine perdue. Le voilà lancé sur les couloirs décrépits, la porte qui coince et nous condamne à nous les geler dehors jusqu'à ce que quelqu'un vienne nous sauver, la bourse aux objets perdus pour fournir à moindre coût nos chambres, les créneaux de la buanderie qu'il faut réserver deux semaines à l'avance. Léandre l'écoute sans faire de commentaire, jusqu'au troisième étage.

« Vous avez des animaux ? questionne soudain le breton. Non mais c'est parce que je suis asthmatique.

— Si ton carnet de vaccination est à jour, tu ne devrais pas risquer grand-chose. Tervetuloa kotiin, annonce Léandre avant de refermer la porte derrière nous. Placard pour la veste ici, les chaussures là, salle de bain et sauna à gauche, cuisine juste après, les chambres au fond du couloir et le salon à droite. Vous voulez boire quelque chose ?

— Bah heu, ouais, merci. Une bière, si t'as ? demande Jérèm en ôtant prudemment ses baskets.

— J'ai. Tiphaine ?

— Un thé ?

— J'ai aussi. Posez-vous dans le canapé, j'arrive. »

Il nous dépasse pour se saisir d'une petite télécommande ; le salon s'illumine de multiples lampes d'appoint, au mur derrière le grand écran, le long de l'insert, dans une niche à proximité de la porte-fenêtre qui mène au balcon. Ledit canapé à double méridienne occupe du reste une bonne partie de la pièce. Jérémie me désigne la PS3 dont les branchements dépassent du meuble télé. À part un paquet de gâteaux, deux canettes froissées sur la table basse et un pull abandonné sur une chaise, leur salon est, pour tout avouer, en meilleur état que la chambre de Soline.   

« On doit pas payer le même loyer, soupire le breton en s'affaissant contre les coussins – sa méfiance aura duré, quoi, trois minutes ?

— Ils travaillent déjà, rétorqué-je en me prenant à vérifier que mes chaussettes ne sont pas trouées.

— En vrai, j'ai trop hâte d'avoir mon premier salaire. Faut qu'on réfléchisse à notre Master, Elfette.

— Un Master en quoi ? s'enquiert Léandre, revenu pour tendre une bière à Jérémie.

— On sait pas encore, répond ce dernier en conjuguant, encore, son singulier à notre hypothétique pluriel. Y'a pas des masses de choix à Rennes, mais on pourrait aller voir du côté de Brest ou à la grande ville. Paris, ha ! En plus, Tiph aime bien les cours de marketing et de com. Ça t'aiderait sûrement à être plus sociable, hein ?

— Pas sûr » coupé-je en songeant que, si la Finlande tient du rêve, Lutèce, nettement moins.

Je me rappelle alors que Léandre y a effectué une partie de sa scolarité. Il n'a pas l'accent parisien. Ni Suisse, d'ailleurs, pour ce que j'en sais. Hormis quelques expressions étranges qui surgissent de temps à autres.

« Et donc, toi, t'es en dernière année de Master ? reprend Jérèm pour notre hôte.

— Exact. En Business Management.

— Ah ouais ? J'aurais pas dit. Et pourquoi la Finlande, si c'est pas indiscret ?

— Parce que je préfère les pays où il fait nuit 6 mois dans l'année, histoire de compatibilité épidermique. Blanc ou noir, le thé ? ajoute-t-il pour moi.

— Noir. »

Son air crie je m'en serais douté. Jérèm s'est entre temps décollé de l'assise pour aller inspecter, l'air de rien, les boîtes de jeu alignées sous l'écran plat.

« Vous avez pas Fifa, ou GTA ?

— Non, mais on a Dark Souls.

— Connais pas.

— Tu veux essayer ? »

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now