Big Moustache

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« Alors, y'a quoi de bon au menu, ce soir ? »

Le son est à peine entrecoupé par un wifi faiblard côté Bretagne. Je m'assois à ma table et abaisse l'écran de mon PC pour montrer au paternel un bol de soupe à la tomate garni de pâtes et saupoudré de mozza râpée.

« De la grande gastronomie, commente-t-il. Bon appétit, fillotte. C'était comment, ta journée ?

— Pas mal. J'avais finnois et italien ce matin, un genre de cours de marketing cet après-midi. On est allées faire un tour en ville avec Soline ensuite. Un peu de shopping, un café, quelques courses en revenant. Et tadaa, un jour de plus à Jyväskylä.

— Répète encore, que je sois sûr de le prononcer correctement. Yu-vas-ku-la, voilà. Dire que je débarque dans un peu plus d'un mois, déclare le moustachu après avoir aspiré un spaghetti dissident. La dernière fois que j'ai pris l'avion, grand Dieu, c'était pour aller à Matmata avec ta mère. En 86, quelque chose comme ça.

— Oublie pas de troquer les marcels contre une doudoune. Ineke ne sera plus là, elle finit son semestre le 17 et rentre en Hollande dans la foulée. La nouvelle arrive seulement en janvier, tu pourras prendre sa chambre. »

Ç'avait été un soulagement, que les allers et venues de mes colocs actuelle et future se goupillent de cette manière. Pas que l'idée de partager ma chambre avec le père pose problème en soi, mais que nous puissions doubler notre espace de vie pour dix jours ensemble, c'est tout de même appréciable.

Je lui parle de Lucia, de ma prof de finnois, des bateaux pris dans la glace, de quelques incontournables prévus pour son séjour. Je ne me voyais pas passer les fêtes sans lui, ni lui sans moi. Comme la Finlande est, sous certains aspects, plus excitante que notre bretonne patrie, c'est papa qui fait le déplacement. J'ai hâte de lui montrer ce qu'est ma vie ici. De revoir ses blanches moustaches en guidon, savamment gominées. D'entendre à nouveau sa voix sans qu'elle soit travestie par l'écho métallique de mes haut-parleurs.

« Une piaule étudiante pour un vieux briscard, voilà qui ne manque pas de piquant. Tu me diras ce que tu veux que je te ramène.

— Des rillettes.

— Tiens ?

— Pour faire goûter à Johanna. Je t'enverrai une liste, on organisera un repas français chez ses parents pendant les vacances. Ils ont hâte de te rencontrer.

— Je me réjouis aussi. J'ai installé sur l'ordinateur de la librairie le site dont tu m'as parlé, je fais un peu d'anglais tous les jours. J'arriverai peut-être à baragouiner deux-trois choses. Where is the restroom, please, par exemple.

— C'est un bon début, approuvé-je avec un sourire.

— Et le petit Vauthrin, ça roule pour lui ?

— Oui. Tellement qu'il s'est mangé une rambarde à vélo, l'autre jour, ajouté-je en faisant référence au Jérémie cascadeur dont j'ai dû tartiner l'épaule d'arnica pendant trois jours. Il te salue bien.

— Eh ben. Un bon gamin, ça. »

Ah mais, tu ne vas pas t'y mettre non plus.

Je n'ai fait aucune mention de l'existence de Léandre. Non pas que papa s'en inquiéterait, mais j'estime qu'il n'est pas encore nécessaire de lui en parler. Je raccroche sur un plop, me lève pour aller jeter le reste de ma soupe froide. Il n'a pas dû réaliser que j'ai à peine touché mon assiette. Je prendrai un yaourt pour compenser. Ça se mange facilement, un yaourt.

Même quand on n'a pas faim.

Liquorice LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant