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Il ferme lui-même la porte. J'expire, allume la lampe de chevet avant de revenir éteindre le plafonnier. J'ôte mon jeans et me glisse sous la couette, à nouveau percutée par la réalisation de l'endroit où je me trouve, et pourquoi je suis ici. J'envoie un message à Soline, qu'elle n'aille pas paniquer en venant sonner à 8h tapantes.

Vous :
Tu verras sûrement ce message au réveil, alors, rapidement : JE VAIS BIEN, JÉRÉMIE AUSSI.

On est encore à Helsinki, on pouvait pas rentrer en covoit, je t'expliquerai pourquoi. On est chez Léandre – je ne veux rien entendre, ok ? Je t'appelle dès qu'on est dans le train pour JKL

J'écoute un moment les échos de Dark Souls qui proviennent du salon. Éteignant la lampe, je devine quelques étoiles par-delà les stores mi-clos. Mon portable vibre une fois. Un peu tard, pour Soline.

    C'est Léandre.

Léandre :
Le room service a oublié de demander ce que vous désiriez pour le petit déjeuner.

Bien à vous.

Vous :
Buffet continental d'ordinaire, mais n'importe quelle denrée comestible fera l'affaire, considérant les présentes circonstances.

Léandre :
Le K-Market est ouvert le dimanche. Je laisserai un jeu de clés dans la cuisine, au cas où.

Vous :
Je peux venir avec toi. Si ça ne te dérange pas, bien sûr.

Léandre :
Il n'y a qu'une chose qui me dérange, là, à vrai dire.

    La suite tarde à venir – suffisamment pour que mes neurones en compote se mettent à brainstormer des réponses à sa place. Enfin, même sans devoir prêter ces réflexions à ma grand-mère, il se trame quelque chose. Ça ne peut pas être juste mon esprit. J'ai de l'imagination, ok, mais pas tant.

    Je me mords le poing, les yeux à vif, en lisant le message qui apparaît finalement :

Léandre :
Que tu sois dans ma chambre, et que je ne puisse pas y être avec toi.

    Mon pouls s'affole. Je cherche en vain la sagesse matrimoniale, le caquètement rassurant de Mémère Valentine quand je lui exposais les prémices de mes déboires de cœur. Rien ne vient, bien sûr.

    J'ai toujours jalousé ces filles qui grimpaient sur leurs grands chevaux quand j'avais l'outrecuidance de balancer qu'elles étaient chanceuses de pouvoir se confier à leurs génitrices. Non mais ça craindrait tellement de parler de ça avec ma reum, au secours. Marrez-vous, bande de tourtes. Je n'ai jamais eu de maman, moi. Une grand-mère, oui, mais qui habitait à 3h de chez nous; la seule avec qui j'acceptais de passer plus de quelques minutes au téléphone. Parce qu'elle me fournissait des Michoko et de quoi m'acheter des Playmobil étant petite, parce qu'elle constituait mon seul référent féminin en grandissant.

    La vie est pleine d'expériences, cocotte. Des fois heureuses, des fois moins. Mais on en ressort toujours quelque chose, même si c'est dur de s'en apercevoir sur le moment.

    Et ça l'est, dur. Je n'ai qu'une envie : que Léandre me rejoigne.

    Je passe la main sur mon visage. Je suis dans son lit, putain. Jérémie qui geek à deux pas de là, l'incarnation de tout ce que mon âme désire de l'autre côté de la cloison. Peut-on imaginer pire configuration ?

    Oui. Léandre pourrait n'avoir rien dit. Mais il l'a fait. Et moi, je patauge dans les marasmes du doute. Liquéfiée, tenaillée par un sentiment que je n'identifie pas très bien. Définitivement paumée. Est-ce qu'il attend, est-ce qu'il espère une réponse ? Sûrement. Si seulement Soline était là. Ou Lucia. Johanna, qui que ce soit. On ne laisse pas un message pareil en vu.

    C'est ce que je fais, pourtant. Parce qu'à part pleurer, je ne vois pas quoi faire d'autre.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now