Nooo wooorries

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      Je reçois un appel, deux, des messages.

« Tiph ? Ah, quand même ! T'es où ? hurle Jérèm après que je me sois décidée à rendre les armes.

— Près de la porte 3. Ça va, toi ?

— Mieux, ça va mieux. Mais j'ai rien compris au film, par contre. J'ai récupéré Martin mais je sais pas où sont les Finlandais. Tu peux les ap... »

Ça coupe avant qu'il n'achève. J'aperçois alors l'improbable béret rouge et blanc de Veera. Léandre m'accompagne jusqu'au couple ; Pietari s'est commandé une pinte, décision discutable en marge de la route qui nous attend.

À son élocution pâteuse lorsqu'il vante les mérites du concert, je devine qu'il n'en est pas à sa première : il titube en tentant de mimer une scène du film. Je me rapproche de Veera et, l'air de rien, lui demande si son cher et tendre n'est pas fatigué, s'il ne vaudrait pas mieux prendre le volant à sa place. Elle me répond que non, il va bien. Et, surtout, qu'elle n'a pas le permis. Léandre considère le vacillant Pietari, occupé à tremper sa moustache dans la mousse. 

« Je m'avance peut-être, mais il ne donne pas tout à fait l'impression d'être en état de conduire.

— Je sais que Martin n'a pas le permis non plus, grincé-je en réponse. Ça laisse Jérèm et moi. Sur des routes enneigées. Pour 4h de trajet, en pleine nuit, par -15°C. »

J'aurais bien hyperventilé mais quelque chose empêche l'habituel étau de se resserrer sur ma poitrine ; une certaine présence, sûrement. Breton et Slovaque débarquent enfin pour découvrir que notre chauffeur émet davantage de vapeurs que le pot d'échappement de sa VW. 

« Hors de question qu'on reparte avec lui dans cet état, décrété-je.

— J'avoue, ça craint, concède Jérémie, perplexe. Mais y'a plus de bus ni de train, à cette heure-ci. Comment on fait, pour rentrer ?

— Je sais pas.

— Moi, je sais. »

La réponse vient de Léandre.

« Antti n'est pas là, on a deux chambres et un canapé. Vous pouvez dormir à Vantaa, vous deux et Martin, et je vous amène demain à la gare d'Helsinki.

— Merci mec, mais on se débrouille » s'empresse d'éluder Jérémie.

Léandre réitère sa proposition pour le Slovaque, aussi légitimement inquiété que nous par le conducteur qui bulle dans sa bière. Martin répond qu'il connait quelqu'un à Helsinki, demande s'il est possible de le déposer à son adresse. Léandre accepte avant de se tourner vers moi.

« Je préférerais vous savoir dans un appart en bordel plutôt que sur les routes avec cet inconscient.

— On le connait pas, Tiph, me rabâche Jérèm après m'avoir prise à part, dans une attitude plus suspecte que discrète.

— Je le connais bien assez. Fais comme tu le sens, mais je ne retourne pas à Jyväskylä avec eux.»

Le blondinet se mâchouille la lèvre et fait craquer ses doigts avant d'obtempérer, non sans traîner les pieds. Lui et Martin expliquent à Pietari que nous avons décidé de rester pour visiter Helsinki le lendemain, sans faire mention d'un éventuel abus d'alcool qui nous aurait refroidis. J'essaye quant à moi de signifier à Veera qu'ils devraient prendre une chambre. Everything is alright, nooo wooorries [1], me répond-elle avec autant de o que d'aplomb.

Je me souviens, après les avoir perdus de vue dans la foule qui sort à petite allure de l'Areena, que mon anorak est resté dans leur voiture. Nous dépatouiller de Pietari s'est déjà révélé suffisamment pénible, je ne tiens pas à raviver la flamme. Jérémie se dépouille de son blouson malgré mes protestations, alors que nous suivons Léandre jusqu'au parking – lui est venu avec la Volvo d'Antti. Je monte à l'avant, laissant à l'arrière un breton saumâtre et un Martin soulagé d'avoir évité un trajet en mode Destination Finale.

« On va pouvoir commencer ton éducation musicale plus tôt que prévu, déclare Léandre en démarrant.

— Quelle heureuse coïncidence, souligné-je sans pourtant vouloir faire taire les trompettes célestes qui résonnent en moi.

— Regarde dans la boîte à gants, une fourre jaune-noir. Une pochette, pardon.

Anthems to... the Welkin? At Dusk, parviens-je à déchiffrer.

— Du black norvégien de nonante-sept. Ça va te plaire. »

* * *

[1] « Touut va bien, pas de souciiis. »

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now