Shutdown

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      Je me réveille en sursaut, sur un cauchemar dont je ne tire qu'une vague sensation de malaise. La chambre est plongée dans l'ombre traînante d'un jour qui refuse de poindre. Je cherche à tâtons mon téléphone. 7h57.

Ça doit faire à peine 3h que je dors.

Tête lourde, je frotte mes paupières, repousse du pied la couette. J'inspire avant d'abaisser avec précaution la clenche. Ce qui aurait produit un trémolo grinçant dans le M-building n'échappe pas même un bruissement feutré ici. La pièce voisine est entrouverte : un rai de lumière vient éclairer la moquette du couloir. Je perçois le cliquetis d'un clavier, m'éloigne sans bruit en direction de la salle de bain. Jérémie ronfle sous un sac de couchage dézippé, un pied encore emballé dans une chaussette de tennis dépassant sur l'accoudoir.

Je songe à retourner dans la chambre de Léandre, me plante finalement devant la porte d'Antti. Mon système central est en plein shut down. J'élève une main, hésite, l'avance, m'interromps. Forçant de l'air dans mes poumons, je frappe discrètement. Rien. Soit il n'a pas entendu, soit il a choisi de m'ignorer. Le cœur au bord des lèvres, je me décide à pousser du bout des doigts le panneau de frêne.

La pièce est l'exacte jumelle de celle de gauche, à quelques détails personnels près. Une affiche de Top Gun au-dessus du lit et des Space Invaders multicolores collés au mur, notamment. Léandre est assis contre la tête de lit, en t-shirt et training, MacBook sur les genoux. Je perds pieds en constatant qu'il m'a vue, retire son casque sur un sourire.

« Désolé, je ne t'ai pas entendue te lever. Il est encore tôt, ajoute-t-il en vérifiant l'heure. Tout va bien ?

— Oui, assuré-je à voix basse, pour ne pas réveiller Jérémie. Et... et toi, bien dormi ? »

Super. Une punchline digne de la pire des connasses. Je fuirais bien si mes membres inférieurs n'étaient pas glués au sol.

« Moyen, admet-il avec un haussement d'épaules. Mais je ne dors pas très bien, ces temps. Tu veux que j'aille chercher de quoi préparer le petit déjeuner ?

— Non, reste là. Je... peux entrer ? »

Il m'y autorise d'un signe de tête. Je tire la porte, sans pourtant la fermer tout à fait, viens prudemment m'asseoir sur le matelas alors qu'il repousse un classeur ouvert.

« Antti te fait faire des heures supp' ? demandé-je telle l'autruche, par pure esquive.

— Techniquement, on se situe au même niveau hiérarchique, lui et moi. Mais ne le lui rappelle pas, ç'a tendance à l'agacer – parce que je ne suis qu'un, je cite, trouduc de stagiaire. Non, je prends de l'avance sur mon mémoire.

— Sur quelle thématique ?

— Version courte ou longue ?

— Longue. J'aime bien les longues histoires.

International Business Economics in a Digital Marketing and Software Development Environment. J'en suis à l'intro, précise-t-il en dévoilant un paragraphe un peu navrant, seul au milieu d'une page. Ça file bien mieux quand il faut écrire des débilités sataniques.

— J'en suis à peu près au même point avec un dossier intitulé Communicating in a Culturally Diverse Workplace que je dois rendre vendredi prochain. 

— J'ai eu un cours dans ce style, l'an passé. J'ai encore mes notes, si ça peut t'aider.

— Léandre. »

Ce n'était pourtant qu'un chuchotement, ni accusateur ni vraiment interrogatif. Il se redresse avec raideur, comme si je venais de lui jeter un seau d'eau à la figure.

Liquorice LoveWhere stories live. Discover now