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À Manhattan, dans un poste de police...
Il venait juste de se garer sur le parking de la brigade. L'homme en costard sortit de sa voiture, des lunettes de soleil lui couvrant les yeux. Il s'avança ensuite vers une porte vitrée, grande et majestueuse, celle qui menait vers la justice new-yorkaise. L'homme, Anthony Ross marchait fièrement. Il ne manqua point de marquer sa présence à un comptoir situé juste à l'entrée. À peine eut-il le temps de franchir le pas de la porte suivante qu'un tonnerre d'applaudissements retentit. Anthony fut aussitôt envahi par une troupe d'hommes et de quelques femmes. Les uns le félicitèrent après les autres. En effet, ce dernier avait été promu pour la troisième fois successive meilleur flic de l'année.
- Félicitations, frérot ! fit l'un des policiers présents.
Lui, c'était Jay Bells, un afro-américain.
- Merci, Jay! lança Anthony à son tour, prenant son meilleur ami dans les bras.
Les autres policiers s'étaient déjà dispersés.
- Ton rêve d'enfance se réalise, profite! rajouta Jay en lui tapotant l'épaule.
- Sauf que quand j'étais môme, je voulais devenir le meilleur flic du monde. Pas d'ici, gloussa Anthony.
-Je ne voudrais pas vous interrompre les amoureux mais le lieutenant cherche à te voir dans son bureau, Anthony. Encore, félicitations, ajouta Jade, une policière.
- Merci Jade. Tu m'aimes un peu malgré tout, je sais, la nargua Anthony avec un large sourire.
- Oh oui! Que cela m'émeut, crétin!
       Elle s'en va sur ces mots suivie de Jay.
- Attends moi, Jade!
- Lâche moi un peu la grappe toi!

[Anthony]
Après que Jay et Jade soient partis, je me ressaisis et décidai d'aller voir le lieutenant. En partant, je lâchai un «Kebab gratuit pour tout le monde ». Ce qui ne manqua pas de faire vociférer les plus grands adeptes de viande du poste. J'arrivai enfin devant une porte, également vitrée où un écriteau signalait "Lieutenant Ramirez". Je n'hésitai point à accéder à la pièce donnant lieu à un immense bureau parsemé de toutes sortes de paperasses et d'une photo du lieutenant Ramirez. À gauche sur le mur s'étalèrent tous les trophées et médailles qu'il avait eu à gagner depuis qu'il était devenu policier. L'homme, imposant se dressait derrière son bureau. Au bruit de mes pas, il se retourna.
-Vous voilà, agent Anthony.
- Jade m'avait annoncé que vous me cherchiez. Qu'y a-t-il ?
- Rien de grave, rassurez-vous!
- Quoi donc?
- Prenez siège, mima-t-il avant de continuer. En fait, je pensais rouvrir le dossier Jackson.
- La fille ou le père? questionnai-je.
- Les deux. La sœur du père était de passage la semaine dernière. Elle disait avoir fait un songe où son frère réclamait vengeance pour sa mort. Que des suspicions! Mais je pense que c'était une stratégie pour nous obliger à réétudier le dossier.
- Pourquoi réouvrir alors celui de la fille?
- Juste une intuition. Les deux cas doivent être sûrement liés.
- Je comprends. Et en quoi cela me concerne-t-il, avec tout le respect que je vous dois?
- J'en venais justement au fait. je tenais personnellement à vous confier cette affaire. Vous m'avez fait vos preuves à maintes reprises et je crois bien que sur ce coup ci, je ne serai pas déçu.
- En êtes vous sûr M. le lieutenant ? Enfin, c'est une charge lourde que vous me confiez.
- Là n'est pas la vraie question. En êtes-vous capable ?
- Oui bien sûr, dis-je sans hésiter.
- Alors, j'ai confiance en vous. Vous pourrez constituer une équipe puis vous m'en ferez part.
- Je ne vous décevrai pas!
- Je n'en doute pas. Encore, félicitations! Si vous continuez ainsi, bientôt ce sera plus lieutenant Ramirez que vous verrez inscrit sur cette porte mais plutôt "lieutenant Ross", ajouta-t-il en souriant.
- Et même que vous serez toujours mon mentor,souriai-je en retour.
Je disposai ensuite. Jay ne tarde pas à venir me soûler de questions.
- Alors, il disait quoi le lieutenant ?
- Je t'expliquerai en chemin. Allez, magne! Nous avons du boulot.

                                 *
[Abby]
Aujourd'hui, lundi. Un jour inhabituel pour des funérailles mais chacun va à son rythme. Je m'apprêtais pour aller à l'enterrement de la mère de Christopher. Je me vêtis d'une robe ovale noire moyenne, à manches bouffantes et à col carré. J'ajoutai un foulard noir fin en mousseline par dessus ma coupe carrée plongeante.  Je me chaussai d'escarpins à bouts pointus noirs également, assortis à mon gloss. Après quoi, je pris mes lunettes de soleil et mon sac que je passai par dessus mon épaule avant de mettre les voiles.

[Christopher]
Comme elle l'eut toujours voulu de son vivant, elle aura une place parmi les tulipes, fébriles et parfumées de la première ligne de vision, à l'entrée du cimetière. Ma mère, Anna Smith était une femme incroyable. Elle avait consacré toute sa vie au bonheur des autres, enrayant le sien, presque inexistant. L'idée qu'elle ne reviendrait plus me rongeait de l'intérieur. Et celle de venir tous les week-ends à ma bâtisse d'enfance et de ne plus la voir, assise, sereine, un chignon strict, une robe estivale émanante de convivialité et ce tendre sourire scotché à ses lèvres amères et adoucies par le café me brise au plus haut point. La veillée funèbre avait duré le temps d'une nuit qui pour moi semblait une seconde. Et je devais dans moins de dix minutes faire mes adieux à ce corps sans vie de ma mère que j'eus autrefois connu vivant et vivifiant. Je gardais la tête haute, je restais fort et malgré la tristesse, je souriais parfois aux nombreux invités dont ma famille qui semblait de plus en plus s'inquiéter pour moi. Peter, quant à lui n'affichait guère non plus ses émotions. Il a toujours été unique en son genre mon petit frère; ce jeune homme qui me défendait malgré que ce devait être le contraire et qui pourtant a supporté toute son adolescence des violences scolaires sans jamais se plaindre, à encaisser et remercier. J'aurais bien aimé lui épargner ces traumatismes mais comme par hasard, je ne suis pas cet héros qui est toujours là quand il le faut. Je suis juste moi, Christopher, l'homme renfermé, sans cœur pour le grand public et bienveillant envers et pour sa famille. Je n'osais tourner la tête et croiser le regard de quiconque, même pas celui de mon frère. Les paroles du prêtre me paraissaient plus accélérées et les minutes passèrent pour des secondes. Je n'avais envie de rien mais pourtant, je voulais que le temps s'arrête. Je n'aurais jamais pu imaginer que sa mort m'affecterait à ce stade. Tout à coup, un de ces moments me revint à l'esprit.
C'était une nuit d'orage, par temps d'été comme celui-ci. Je m'étais réveillé en sueur après avoir fait un cauchemar étreint par le bruit du tonnerre. J'avais, si je m'en rappelle bien six ou sept ans. Peter me semble-t-il n'était pas encore né. Le ciel grondait et des milliers de cordes d'eau jaillissaient sur toute la ville. Pour un garçon, j'étais loin d'être courageux. Sans hésiter, je sortis de mon lit peureux et pleurnichant. La première idée qui me vint à l'esprit était de courir de toutes mes forces vers la chambre parentale, d'ouvrir la porte et de sauter dans les bras de maman; pensée que je réalisai.
- Maman, j'ai...p-e...peur, balbutiais-je.
- N'aie pas peur, mon p'tit Chris. Tu es un garçon courageux n'est-ce pas ? disait -elle en me prenant dans ses bras et en me caressant avec tout le soin du monde les cheveux.
- Oui, reprenais-je timidement en m'accrochant à elle.
- Alors viens! Je t'accompagne dans ta chambre. On boira un bon chocolat chaud et je resterai dormir avec toi. (...)
    Ce jour-là, mon père n'était pas là, comme d'habitude. Il était en voyage d'affaire, laissant ma mère enceinte, seule à son sort. J'étais petit mais assez conscient pour me rendre compte de toute la douleur qu'avait emmagasinée lors de ces années de mariage ma mère. Mais que pouvais-je y faire ? Je n'étais qu'un gamin... •
        Je sentis soudain une main se poser sur mon épaule. Une voix familière et inattendue me parvint.
- Mes sincères condoléances Christopher!
C'était Abby. L'étonnement s'empara de ma tristesse et l'évinça. Cette phrase me réconforta, quelque peu déçu de ne pas avoir eu le courage de lui répondre. Une mère, c'est un tout et la perdre... Je réunis le peu de cran qu'il me restait et je tournai la tête. Mais comme une bouffée d'air, elle s'était déjà évaporée.

ImpostorWhere stories live. Discover now